Son nom a été donné à un cap, un détroit, une île, une rue de Londres, une rue de Paris et.... un cratère sur la lune!
J'avoue à ma grande (n'exagérons pas) honte que j'ignorais tout de cet illustre personnage.
Mémorial à Joseph-René Bellot. Greenwich.
C'est en visitant le cimetière de Rochefort que je suis tombé sur un des plus étranges et des plus poétiques cénotaphe qu'on puisse rencontrer, celui de cet homme veillé par les ours....
Le gisant protégé par des animaux débonnaires qui portent une chaloupe renversée comme un couvercle de sarcophage, n'est pas le prince d'un conte ni le héros d'un roman de Jules Verne... ou peut-être est-il les deux à la fois....
Il s'agit de Joseph-René Bellot, né à Paris, à l'époque du romantisme (1826) et mort à 27 ans dans l'archipel arctique...
Rendons à Rochefort ce qui revient à Rochefort, c'est dans cette ville, non loin du cimetière, que sa famille débarque en 1831 avec leur fils âgé de 5 ans. C'est donc dans cette ville claire et tracée au cordeau qu'il grandit avant d'entrer à l'école Navale de Brest où il se montre l'un des plus brillants élèves.
Sa carrière est marquée par des participations à des expéditions franco-britanniques, en 1844 à Madagascar où il est blessé, en 1848 en Amérique du sud. C'est cette collaboration avec les Britanniques qui caractérise sa carrière et lui vaudra de mourir à 27 ans!
John Franklin
Il est en effet très apprécié pour ses initiatives et son dévouement, proche des hommes et toujours en avant.
C'est en 1851 que son destin prend forme lorsqu'il participe à une expédition britannique chargée de retrouver le corps de John Franklin disparu dans l'Arctique canadien quatre ans plus tôt.
Erebus et Terror, les navires de John Franklin
John Franklin est un explorateur célèbre qui a sillonné plusieurs fois l'Arctique. Sa dernière expédition qui avait pour but de découvrir le passage Nord-Ouest pour le détroit de Béring, a été catastrophique. Les conserves à bord des deux navires, l'Erebus et le Terror sont inconsommables, contaminées par le plomb. Les navires pris par les glaces hivernent avant que les 128 hommes gagnent l'île du Roi Guillaume où ils périssent en tentant de gagner à pied le Canada.
Bellot
L'Amirauté britannique lance une expédition (financée par Lady Franklin) pour ramener le corps de John Franklin et trouver trace des disparus. Bellot en fait partie. Le navire, "le Prince Albert" est à son tour pris par les glaces pendant onze mois. Bellot et le capitaine, William Kennedy profitent de cette longue immobilisation pour partir en traîneau tiré par des chiens pour une exploration de près de 2000 kms.
Bellot et ses hommes
Pendant le long hivernage de la goélette (septembre 1851 à août 1852) il rédige le "Journal d'un voyage aux mers polaires" témoignage précieux de la vie de l'équipage. Il décrit les rudes journées, par moins 40° parfois où pour survivre il faut s'envelopper dans des peaux de buffle. Il raconte les chasses aux animaux sauvages quand les réserves viennent à manquer. Quelques ours blancs apparaissent dans son récit. Le réchauffement climatique ne les menaçait pas comme aujourd'hui de disparition totale.
Bien que quelques uns d'entre eux aient été chassés et dépecés par Bellot et les marins, les ours peu rancuniers acceptent, dans le cimetière de Rochefort de veiller, pour l'éternité, sur le gisant de leur prédateur!
Le Prince-Albert rentre au pays en 1852 sans avoir trouvé trace de John Franklin. Mais les Britanniques sont têtus et la veuve de Franklin qui avait financé la première expédition, ne veut pas perdre espoir. En 1853 une nouvelle expédition est lancée.
Le Phoenix (peint par Edward Inglefield)
Elle est menée par Edward Inglefield... explorateur qui n'en est pas à sa première campagne et qui a cartographié des côtes jusque là inexplorées...
... Son navire, le Phoenix atteint le détroit de Barrow. Bellot part en éclaireur sur la banquise. Il glisse soudain avant de disparaître dans les eaux glacées du canal de Wellington, le 18 août.
Mort de Joseph-René Bellot
Sa disparition émeut tous ceux qui l'ont connu et qui ont admiré son courage et sa générosité dans les rapports humains. Il émeut également les Anglais qui, une fois n'est pas coutume, rendent hommage à un Français, lui élevant un obélisque et donnant son nom à une rue de Greenwich.
Les "Frères" rochefortais, eux non plus n'oublient pas l'explorateur qui faisait partie de leur loge francs-maçonnique. Ce sont eux qui lancent une souscription pour élever un cénotaphe en son honneur.
Le monument est inauguré en 1862. Il a été dessiné par Alphonse Bourgeat et sculpté par Jean Sporrer qui s'enorgueillit d'avoir été élève de Rude immortalisé par sa Marseillaise guidant le peuple sur l'Arc de Triomphe!
L'œuvre est étonnante, quasi surréaliste avec ses divinités animales et cette barque renversée au-dessus de l'homme qui repose sur un lit de glace.
Elle évoque à sa manière le "passage" , la barque de Charon ou celle des Egyptiens. Mais elle est tenue par les 4 ours qui ne sont pas des porteurs de cercueil, comme dans les cérémonies traditionnelles, mais au contraire de silencieux compagnons qui empêchent le couvercle de retomber et d'enfermer pour toujours dans la nuit l'homme qui dort.
Beau monument qui semble glisser dans l'espace et le temps avec le jeune homme endormi comme dans un conte...
Je reviens au refuge des Pachats après six mois montmartrois pendant lesquels ce sont les chats du square Louise Michel qui ont reçu mes visites!
Juliette de Montmartre
Le refuge du Château d'Oléron est comme toujours au maximum de son accueil. Les humains pour la plupart se soucient peu des animaux. Par chance on trouve ici ou là des havres de générosité et de dévouement...
Car il en faut du dévouement pour venir chaque jour nettoyer les litières, laver les enclos, nourrir les chats, les soigner, donner un peu de tendresse à ces petits êtres qui quémandent en vous fixant intensément de leurs yeux ronds et profonds un peu d'attention et de caresses.
Depuis novembre quelques nouveaux pensionnaires sont arrivés. Plusieurs appartiennent à de vieilles dames qui, frappées par la maladie, ont été contraintes de les laisser au refuge, le cœur brisé.
Petits compagnons de vie, ils perdent leurs repères, leurs cachettes, leurs jeux. Il perdent les genoux où ils se lovaient en rond, le lit où ils se blottissaient la nuit contre leur vieille amie.
Celui-là, Roméo, s'était caché le jour où sa maîtresse a été emmenée à l'hôpital. Elle a demandé à ses voisins de le nourrir en attendant que soit prévenu le refuge.
Quinze jours après quand Cosette, la responsable du Refuge qui n'avait pu se libérer plus tôt, étant elle-même malade, est arrivée dans le village où vivait ce chat, elle l'a trouvé d'une maigreur impressionnante, prostré dans un coin, n'attendant plus rien. Les voisins charmants l'avaient "oublié".
Il a été emmené au refuge où il a repris des forces. Quand sa vieille maîtresse l'a appris, elle n'a pu retenir ses larmes. Elle sait qu'il est là, en sécurité, en attention, et qu'un jour elle le reprendra.
Celui-là aussi a vu partir sa maîtresse qui perdait la mémoire. Combien d'années de vie commune, de secrets, de connivence, de câlins qui semblaient éternels font maintenant partie de sa mémoire et de ses rêves? Les chats ne sont pas comme nous, ils ne se plaignent pas, ils ne racontent pas à tout venant leurs problèmes. Ils continuent de vivre, minute après minute, unis par un lien mystérieux et invisible à leur passé.
Il y a parfois des histoires plus douloureuses comme celle de cette chatte qui aimait son maître d'une manière si exclusive et si jalouse que lorsqu'il a adopté un chaton, elle s'est blessée à force de se gratter et de se mordre. Elle a développé une dermite qui la ravage. Son maître n'ayant pas les moyens de la soigner l'a ramenée au refuge d'où elle était venue. Et maintenant il faut toute l'attention des bénévoles pour la soigner et lui redonner confiance.
Dernière photo de la petite chatte atteinte de calicivirose.
Parmi les tristes nouvelles, il y a celle de la mort de plusieurs chats atteints de calicivirose. Des mois et des mois de soins avant de se résoudre à l'inéluctable. Saphir, le beau Saphir a quitté le refuge. Ce chat magnifique aux yeux de ciel avait été recueilli et soigné jour après jour car il souffrait lui aussi d'une maladie de peau. A force de pommade à l'argile, il avait été guéri. Et puis quelques années plus tard, il a attrapé ce sale virus...
Il a été accompagné jusqu'au bout du chemin. Cosette le tenait dans ses mains quand il a été piqué. Ce matin, elle m'a raconté cette mort, sans pouvoir retenir ses larmes.
Parce que dans ce refuge, chaque chat est nommé, connu et aimé. Chacun existe. Petite vie qui a droit à la considération et au respect.
Mais en ce jour de soleil, il y a aussi toutes les belles histoires, celles des chats heureux qui se roulent dans l'herbe, celles des chats qui ont retrouvé le goût des poursuites et des jeux.
Celles des rescapés, ramassés blessés ou affamés sur le bord des routes, celles des abandonnés dans des cartons près des poubelles....
Soigné pour un problème intestinal, ce "pacha" reprend des forces dans l'infirmerie.
Bien sûr un refuge n'est jamais idéal quand on connaît la sensibilité, les désirs d'espace et de liberté, les besoins de tendresse et de chaleur, le goût du luxe et des belles étoffes, des chats...
Mais il leur offrent un espace de vie où ils sont à l'abri de la peur et des menaces, à l'abri des chasseurs qui aiment s'exercer sur eux, des imbéciles qui les caillassent, des sans-coeur qui les abandonnent...
Espace généreux qui redonne confiance, un peu, en notre espèce.
Liens: De nombreux articles sur ce blog, depuis des années:
Si vous entrez dans l'église par la porte de gauche, vous vous retrouvez devant la loge de l'accueil installée dans la chapelle de la Mort et de la Résurrection. L'endroit est si détérioré, si sinistre que l'on craint un instant que la Mort l'ait emporté!
La résurrection artistique est de l'autre côté, vers la porte de sortie, dans l'or et le bleu de la chapelle des Baptêmes récemment restaurée!
Il s'agit d'un ensemble remarquable qui prend place dans l'histoire de la peinture du XIXème siècle à Paris....
N'en déplaise à ceux qui font la fine bouche devant les fresques religieuses de cette époque!
Quand il fallut décorer l'église, dans un quartier en pleine expansion, apprécié des artistes et des femmes légères qu'on appellerait bientôt "lorettes", la peinture de trois chapelles, après concours, fut confiée en 1832 à des peintres de renom qui formaient une école picturale appelée Ecole des Nazaréens.
Chapelle de la Vierge (Victor Orsel)
Chapelle de l'Eucharistie (Alphonse Périn)
Il s'agit de Victor Orsel (chapelle de la Vierge, aujourd'hui dégradée), Alphonse Périn (chapelle de l'Eucharistie) et Adolphe Roger (chapelle des Baptêmes).
Seule a été restaurée celle des Baptêmes grâce à un fonds américain : le World Monument Fund, notre pays ne faisant pas toujours de la préservation de son patrimoine une priorité absolue!
Les trois peintres étaient amis et admiraient les Nazaréens allemands qui, comme eux, avaient fait le voyage en Italie pour étudier les Primitifs qu'ils considéraient comme leurs maîtres. Les sujets religieux étaient pour eux symboliques de la condition même de l'homme et susceptibles de concerner tous les hommes, même incroyants. La Vierge et son enfant pouvait représenter toute maternité humaine et le Christ en croix toute agonie.
Adolphe Roger (1800-1880) choisit de représenter les rites du baptême en mettant en valeur les protagonistes, sans que l'œil soit attiré par un paysage d'arrière plan. En cela il est influencé par les icônes byzantines plus que par les peintres primitifs qui, en rupture avec leurs prédécesseurs, introduisirent la nature, montagnes, fleuves, arbres dans leur composition.
Le fond d'or semble fait de plaques du métal précieux...
De part et d'autre, Adam et Eve sont représentés. A gauche sous l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, après avoir mangé le fruit défendu, et à droite au moment où ils sont chassés du Paradis....
La composition est symétrique... D'un côté l'arbre et le serpent, la branche s'élevant au-dessus du couple, de l'autre le bras de l'ange. D'un côté Adam et Eve, parallèles, dans une position identique de repli sur eux-mêmes, de l'autre s'en allant, douloureux, vers l'inconnu.
La tête penchée sur la main droite, ils se ressemblent et pourtant, la bouche d'Eve reste ouverte tandis qu'Adam la recouvre du poing comme s'il voulait effacer ce moment où il a mordu dans le fruit ...
La bienséance du temps a conduit le peintre à cacher la nudité du couple. Eve est recouverte de ses cheveux et d'une inutile ceinture de feuilles, la même que l'on retrouve sur Adam.
De l'autre côté, les voilà déjà vêtus de peaux de bêtes. Adam se dissimule toujours, tête baissée tandis que sa femme lève la tête. On pense à la fresque de Masaccio où l'homme se cache le visage dans les mains tandis que la femme se tourne, visage nu et comme aveugle vers le ciel...
Les deux fresques sont, selon moi, les réalisations les plus belles de la chapelle...
La scène du baptême est plus convenue. Au centre le Christ, les bras écartés et qui semblent devoir s'élever jusqu'à leur position sur la croix.
A la droite du Christ, Jean Baptiste accomplit le rituel, entouré par des anges un tantinet inexpressifs.
Au-dessus de la scène, la Trinité, Père, fils et Esprit couronnent l'âme du nouveau baptisé qu'ils accueillent dans leur lumière. L'ensemble est assez convenu mais c'est la couleur franche et la clarté de la composition qui frappent. Adolphe Roger a retrouvé ici quelque chose de la magie naïve et savante des primitifs.
Parmi les autres décorations de la chapelle, les plus originales représentent les rites du baptême ( certains aujourd'hui tombés dans les oubliettes).
Le SEL...
Dans la bouche de l'enfant étaient déposés quelques grains de sel, élément vital qui protège de la corruption.
L'EAU...
A l'origine le baptisé était plongé dans l'eau, symbole de la mort de l'homme ancien et naissance de l'homme nouveau.
Le SOUFFLE... ou exorcisme...
Le prêtre souffle sur la tête du bébé afin de chasser au loin le mal ...
Le peintre a représenté au-dessus l'ange du Mal, un serpent enroulé autour de lui, poursuivi par le bon ange qui tape dans les mains comme s'il voulait effrayer une vulgaire vipère!
Et comme souvent (j'allais écrire "toujours") le mal a plus d'allure, plus de caractère quant il apparaît sous le pinceau des peintres que le bien, fade et conventionnel!
LA SALIVE...
Le prêtre mouille son doigt de salive et touche les oreilles et les narines de l'enfant.
Le rite porte le nom d'Ephpheta, ce qui en araméen signifie "Ouvre-toi".
LE SAINT CHRÊME....
Avec l'huile sainte, le signe de croix est tracé sur le crâne de l'enfant.
On comprend, à voir l'étendue des surfaces peintes qu'il ait fallu plus de quatre ans à Adolphe Roger pour les réaliser. Notons ici qu'il innova dans la technique puisqu'il mit au point avec Orsel un procédé "à la cire froide" qui associait les qualités de la fresque (vivacité, naturel des coloris) à celles de l'encaustique ou cire chaude (vertus hydrofuges). Malgré ces précautions, les deux peintres ne purent éviter "l'irréparable outrage" des années!
D'autres scènes ornent les piliers. Elles rappellent des baptêmes célèbres et des conversions de populations lointaines.
... Tout d'abord le baptême de Clovis et Clotilde par Saint-Rémi... avec intervention volatile de l'Esprit Saint qui bénit le Saint chrême et l'ampoule qui servira à oindre les rois de France!
... Le baptême des Péruviens avec l'ange et le saint évangélisateur François Solano qui avait des dons divinatoires puisqu'il sut prédire la date de sa mort et le tremblement de terre qui dévasta le Pérou!
... Le baptême de l'empereur Constantin qui selon nombre d'historiens ne lui aurait été administré que sur son lit de mort.
La légende veut qu'après avoir vu des signes miraculeux apparaître dans le ciel avant une bataille décisive, il eût décidé de se faire chrétien et eût été baptisé par Saint Sylvestre.
... Enfin, le baptême des Ethiopiens par Saint Philippe (qui fait allusion à un passage des Actes des Apôtres où Philippe baptise un eunuque éthiopien).
L'aspect académique de ces scènes peut lasser mais la couleur, le relief des personnages sur le fond bleu, la simplicité des visages peuvent nous toucher.
Pour terminer la visite de la chapelle, il faut lever les yeux au ciel et découvrir la coupole bleue avec ses étoiles. Les grandes figures qui tournent avec elles bien qu'assises sur leur trône, s'envolent dans un bruissement rose et blanc, couleurs mystiques.
"Un soir fait de rose et de bleu mystique" (Baudelaire.)
Grâce à cette belle restauration, Adolphe Roger va peut-être retrouver sa place dans l'histoire de la peinture du XIXème siècle.
Parmi les peintres proches du courant nazaréen, seul Ingres n'est pas tombé dans l'oubli et c'est dommage.
... Il y a dans son œuvre, servie par la science de son art, une naïveté qui le rapproche de ses maîtres Primitifs. Sur le ciel d'or ou sur le ciel bleu, les visages graves ou sereins sont ceux d'hommes et de femmes qui, délaissant un instant leurs soucis quotidiens, entrent de plain pied dans une légende, un conte de fées pour les uns, une vérité religieuse pour les autres!
Van Gogh. Vue de Montmartre, carrières et moulins. 1886.
Tout a été dit ou presque sur ce géant... mais on a tendance à privilégier ses périodes les plus géniales, celles de Provence et d'Auvers, en n'insistant pas sur ses années montmartroises, celles qui ont été décisives et où il est devenu le peintre de la lumière tourmentée et de "l'explosante fixe"!
Van Gogh. Le jardins de Montmartre 1887.
Car c'est bien ici, à Montmartre qu'il est devenu Van Gogh! C'est ici qu'il a laissé sa mue de peintre du nord, adepte de Rembrandt et de sa sombre lumière, compagnon des peintres de son pays habitués des intérieurs et des besogneux...
Il ne reste que deux années à Montmartre, de 1886 à 1888. Et quelles années! Quelles amitiés! Quelles rencontres! Quelle métamorphose!
Van Gogh. Montmartre. Carrières et moulins 1887.
C'est en mars qu'il débarque (certains parlent de février, mais quelle importance?) sur l'invitation de son frère Théo qui travaille chez Goupil, le fameux marchand d'art plus attiré par les peintres à la mode que par les novateurs.
Théo Van Gogh.
Théo qui avait été embauché par Goupil pour être responsable de sa succursale de La Haye (Goupil et Cie est un des plus importants marchands d'art européen) est appelé sur sa demande à Paris où il rêvait de vivre pour rencontrer les peintres nouveaux qui écrivaient sans que les gens de goût s'en rendissent compte, l'histoire de la peinture moderne.
Goupil et Cie boulevard Montmartre.
En 1881 il devient gérant de la succursale du boulevard Montmartre qui s'intéresse à ces novateurs alors que la maison Goupil, pour satisfaire sa clientèle continue de vendre rue Chaptal les peintres pompiers qui sont alors à la mode. Un Edouard Detaille par exemple, peintre de scènes militaires, se vend 50 000 francs (125 000 euros) alors qu'un Monet, s'il trouve preneur, part à 680 francs (1650 euros)!
Edouard Detaille. Commandant Berbegier.
Théo admire son frère et tient, après la mort de leur père, à le faire venir à Paris où se joue la modernité. Quand Vincent arrive, il a déjà 33 ans et il s'est affirmé, enfermé, dans une tradition qui ne lui convient pas.
25 rue Victor Massé. Première adresse de Vincent (chez Théo) à Paris.
Théo habite alors 25 rue Victor Massé et c'est donc là que débarque Vincent, dans cette rue où au n°12 le cabaret du Chat Noir s'était installé en 1885. C'est un des plus beaux immeubles de la rue, de style Louis-Philippe Renaissance, construit par Davrange et Durupt. Le plus beau des immeubles parisien où Vincent séjournera. Pour peu de temps! Trois mois!
54 rue Lepic. 2ème adresse de Vincent chez Théo.
La deuxième adresse de Vincent, toujours chez Théo, sera un peu plus haut sur la Butte, au 54 de la rue Lepic. C'est là qu'il passera la plus grande partie de son temps parisien (de 1886 à 1888) jusqu'à son départ pour la Provence.
3ème étage (volets fermés).
L'appartement était au troisième étage et la fenêtre de Vincent donnait vers le sud-ouest, sur les immeubles d'en face et le mur pignon qu'il a peints à plusieurs reprises.
Atelier de Cormon, 10 rue Constance.
Les premiers mois, Vincent fréquente l'atelier de Cormon, non loin de la rue Lepic, 10 rue Constance.
Cormon se décourage vite de corriger un étudiant qui n'a plus l'âge ni le caractère de recevoir ses conseils.
Le harem (Cormon)
Il est alors à la mode et parmi ses élèves, Van Gogh va faire la connaissance de plusieurs jeunes peintres, attentifs aux leçons du maître, comme Emile Bernard qui va devenir un véritable ami et un confident.
Emile Bernard (Autoportrait)
Il est le vrai "copain" de Vincent et lui rend fréquemment visite rue Lepic. Ils vont ensemble chez le père Tanguy et font tous deux son portrait :
Le père Tanguy par Bernard (gauche) et Van gogh (droite)
Le père Tanguy est un personnage haut en couleurs (c'est le cas de le dire!). Ouvrier broyeur de couleurs puis marchand lui même, cet ardent communard est un admirateur des peintres novateurs qui se rencontrent dans sa boutique 14 rue Clauzel et voient dans l'arrière salle les toiles qu'il expose et qu'il essaie de vendre. Pissaro, Monet, Renoir, Gauguin, Lautrec et Vincent font partie de ses clients et amis!
Le portrait de lui le plus célèbre est celui que Vincent a peint sur fond d'estampes japonaises qui provoquaient son admiration et dont on sait quelle influence elles eurent sur son art.
Vincent découvre peu à peu l'importance de la couleur et de la lumière. C'est pas à pas, jour après jour que la mutation s'accomplit. Parmi les artistes qu'il admire, il y a un peintre dont on parle peu et qui a eu sur lui une influence considérable, c'est Monticelli dont les toiles sont vendues rue de Provence, chez Debarbeyrette et dont Théo sur les conseils de son frère fait l'acquisition d'une d'entre elles.
(Monticelli)
Un peu plus tard, une fois dans cette Provence qui est le pays de Monticelli, Vincent écrira à son frère : "Je suis sûr que je continue son œuvre, ici, comme si j'étais son fils ou son frère (...) reprenant la même cause, continuant la même œuvre, vivant la même vie, mourant la même mort."
Il me semble pourtant que ce peintre a une touche lourde et peu lumineuse. Peut-être représente t-il pour Vincent une transition entre les deux époques de sa propre peinture, un sas vers la liberté du geste et l'audace.
Parmi les autres peintres que Vincent rencontre à Paris, Gauguin, son aîné aura une importance toute particulière. Il est le maître quand Emile Bernard est le compagnon! Gauguin, comme Van Gogh est fasciné par les Japonais que l'on découvre alors.
Sur ce cliché exceptionnel pris à l'initiative d'André Antoine (debout) dans son théâtre Libre de la rue Blanche, on peut voir à l'extrême droite Gauguin, à l'extrême gauche Emile Bernard et à côté d'Antoine, la pipe à la bouche Van Gogh.
La photo a été pris en décembre 1887. Un an plus tard, après une dispute, Vincent se tranchera l'oreille, à Arles. On distingue sur la table le fameux bonnet en lapin avec lequel il se représentera avec les pansements qui entourent son visage.
Pendant les quelques mois qu'il vit à Paris, Van Gogh, comme Gauguin et quelques autres peintres fréquentent les mêmes lieux parmi lesquels un restaurant du boulevard de Clichy, le Tambourin.
Le cabaret des Quat Z' Arts en 1893, à l'emplacement du Tambourin.
Aujourd'hui des dessous féminins remplacent le restaurant!
Imaginez que pour payer sa pension dans ce restaurant sans prétention, Vincent s'était engagé à fournir deux à trois toiles par semaine, des natures mortes, que la dame du lieu espérait vendre (en vain)!
Cette dame est un ancien modèle professionnel (peint par Manet ou Corot), la Segatori. Nous avons d'elle deux portraits réalisés par Van Gogh :
La Segatori (Van Gogh 1887)
L'Italienne (Van Gogh) 1887
Elle a été sa maîtresse dès leur rencontre au printemps 1887. Leur "passion durera quelques mois et elle reste la femme qui a le plus compté pour lui lors de son séjour parisien.
C'est dans son établissement qu'il expose ses toiles sans succès. C'est encore là que ses amis Emile Bernard et Louis Anquetin, ayant plus de chances, vendent leur première toile lors d'une exposition collective avec lui et Gauguin.
Louis Anquetin. Le Mirliton (chez Bruant) 1886-7
Le restaurant périclita et la Segatori dut se résoudre à brader pour quelques sous les dizaines d'œuvres de Vincent qu'elle possédait!
C'est chez elle qu'il avait exposé des dizaines de gravures japonaises achetées avec Théo rue Chauchat, chez Siegfried Bing, un fou de Japon!
Maison Bing, rue Chauchat.
L'influence des artistes japonais sur les Impressionnistes est connue mais il importe, pour comprendre la peinture de Van Gogh, de se rendre compte à quel point il fut marqué par cet art. Ce sont ses peintures provençales qui en seront les plus évidentes preuves, à tel point qu'il écrira à Théo que si les Impressionnistes allaient dans le midi c'était qu'ils y trouvaient "l'équivalent du Japon"!
Vincentcommence par reproduire fidèlement les œuvres qu'il admire (notamment celles de Hiroshige)
Le pont sous la pluie (inspiré d'Hiroshige). 1887. Van Gogh.
Prunier en fleurs (1887) Van Gogh
A Montmartre, à l'instar des Impressionnistes, il va poser son chevalet en plein air. Le "village" lui plaît, avec ses terrains vagues, ses jardins qui résistent encore à la grande spéculation immobilière.
Un de ses thèmes de prédilection est le moulin de la Galette. On sait que le meunier-homme d'affaires Debray donna ce nom à deux moulins. Tout d'abord à l'ancien Radet, transporté à l'angle des rues Lepic et Girardon, puis à l'ancien Blute-Fin et sa terrasse sur tout Paris.
Vincent encore "hollandais" dans sa peinture commence par peindre l'ancien Radet. Trois toiles le représentent dans une tonalité sombre, assez sinistre.
Il suffit de quelques mois pour que le virus impressionniste ait fait son chemin et lorsque Vincent peint l'ancien Blute Fin, la couleur, la lumière, l'atmosphère ont changé! Du ciel, de l'air, des courants de soleil vont vibrer ses paysages.
Potagers et moulins à Montmartre
Le Blute-Fin (moulin de la Galette)
La terrasse du Blute-Fin 1887
Le Blute fin. 1886
Les restaurants et les cabarets montmartrois fréquentés par Vincent sont évidemment nombreux mais ils ne font pas, sauf exception, le sujet de ses peintures.
Nous avons vu le Tambourin où il a peint la Segatori. Il a également peint le jardin des Billards en Bois, rue Saint Rustique (aujourd'hui "La Bonne Franquette").
Le lieu était apprécié des peintres qui s'y retrouvaient fréquemment. Toulouse Lautrec y invite Vincent pour y siroter la Fée Verte, l'absinthe...
Croquis de Van Gogh pour "la Guinguette".(1886)
Vincent y peint une toile "la Guinguette" aujourd'hui exposée à Orsay.
C'est le plus souvent en se promenant autour de la rue Lepic qu'il trouve son inspiration, dans ce Montmartre où les potagers entourent les moulins, où les carrières ouvrent des brèches dans le paysage, où le maquis continue d'attirer les pauvres et les originaux. Ce Montmartre d'après la Commune dont les amoureux de notre quartier ne cessent de rechercher les vestiges.
Chemin en pente à Montmartre (1886)
Scène de rue à Montmartre. Le moulin à poivre.
Parmi les tableaux qu'il réalise alors, on trouve cette "Scène de Montmartre :
Le moulin à roues servait de support publicitaire, quant au moulin à Poivre, entre les drapeaux tricolores il avait été construit en 1830 près du moulin de la Galette. Il servait à moudre les grains et les pigments pour les couleurs. Il a été détruit en 1911 pour permettre le percement de l'avenue Junot.
Le tableau de Vincent est remarquable par son apparente naïveté qui annonce Utrillo, par ses couleurs franches et par ce ciel tourmenté.
Quelques fois, Vincent peint le boulevard de Clichy
Boulevard de Clichy
Ou la ville qui apparaît mouvante, immense depuis les hauteurs de Montmartre.
Bientôt il va prendre la direction du sud et c'est là que son génie va éclater, c'est là qu'il va dépasser tout ce qu'il a appris à Paris, s'émanciper de ceux qui l'ont impressionné pour devenir le peintre unique, celui qui déjà se représentait par touches rapides, par éclats de couleurs comme un soleil en expansion , en risque de dissolution...
Son histoire avec Montmartre n'est pas tout à fait terminée cependant. Le 17 mai 1890, il revient à Paris, chez Théo qui a changé d'adresse et habite 8 Cité Pigalle, au troisième étage.
Vincent Van Gogh est né le 31 janvier à cette adresse!
Oui, Théo a eu un fils avec sa femme Johanna et c'est le prénom de Vincent qu'il a choisi!
Ce choix ne plaît pas au peintre qui souffre d'avoir reçu en 1853 le prénom de son frère mort l'année de sa naissance en 1852. Mais dans cette famille les "Théo" et les "Vincent" se donnent de génération en génération!
Vincent ne reste que trois jours à Pigalle avant de partir pour Auvers.
Cité Pigalle
Sur l'invitation insistante de Théo, il revient à Pigalle le 5 juillet 1890. Il devait y rester une semaine mais il part le jour même après avoir rendu visite à Tanguy rue Clauzel, être allé chez un brocanteur où Théo avait remarqué un Bouddha intéressant, avoir passé un moment chez Lautrec et avoir déjeuné en famille Cité Pigalle.
Il ne reviendra pas à Montmartre.
Son coeur cessera de battre à Auvers, deux jours après le coup de pistolet qu'il se tirera le 27 juillet dans la poitrine, peignant de rouge sa chemise et faisant s'envoler les oiseaux.
Ce n'est pas à Montmartre mais à Auvers qu'il sera enterré.
Théo mourra quelques mois après lui dans une clinique psychiatrique d'Utrecht.
En 1914, Johanna le fera inhumer à côté de son frère.
La vigne rouge. Le seul tableau de son frère que théo parvint à vendre.
C'est pourtant ici, à Montmartre, que s'est joué son destin de peintre, grâce à ce frère attentif et amoureux qui l'invita à se lancer dans une des plus grandes aventures artistiques du XIXème siècle.
1er mars. Stalactites rue d'Orchampt et mimosa allée des Brouillards! C'est le premier jour du printemps météorologique!
Allée des Brouillards
2 mars. L'hippocampe et le trompettiste, rue du Calvaire, devant la maison de Nagui!
3 mars. Le passe muraille veut caresser le feuillage. Place Marcel aymé. (statue par Jean Marais)
4 mars. "Monsieur s'il vous plaît! Une crêpe au chocolat!" Rue du Mont-Cenis.
5 mars. Moderne solitude. Rue Antoine.
6 mars. Théâtre d'ombres. Rue du Mont-Cenis.
7 mars. Le rêve. Un ange chaussé de Nike passe au-dessus....
8 mars. Sœurs Sourires. Parvis de l'église Saint-Pierre.
9 mars. Rue du Chevalier de La Barre.
9 mars. Place Dalida. Les yeux dans les... yeux!
10 mars. Rue Norvins. Retraite d'un poulbot...
11 mars. Pique nique sur les flancs de la Butte. (Emplacement des canons de Montmartre!)
11 mars. Petit chien en bandoulière.
12 mars. Le violoniste et les pigeons mélomanes. Escaliers du Sacré-Coeur.
13 mars. Paris en bleu.
14 mars. La pente est raide rue du Calvaire!
15 mars. Danser pour le Triton. Fontaine de Gasq. Square Louise Michel.
16 mars. Femme papillon rue Girardon.
17 mars. Le Passe-muraille a besoin d'amour. Place Marcel Aymé.
18 mars. Singing in the snow. Square Louise Michel.
La "tortue"! Place jean Marais
19 mars. Retour de la neige. Blancs bonnets sur le Fontaine des Innocents. Square Louise Michel.
19 mars. Rue Paul Albert.
20 mars. Soleil sur les valises. Marches du Sacré-Coeur.
21 mars. Marche nuptiale rue Yvonne le Tac.
22 mars. Evangile laïque rue Ramey.
23 mars. Méduse et son compagnon médusés par Paris. Esplanade du Sacré-Coeur.
23 mars. Oui mais il parle aux oiseaux. Place du Tertre.
Au lendemain de l'attentat de Trèbes. Rue Paul Albert.
24 mars. Week-end du Sidaction. Rue Paul Albert.
25 mars. Sur la tombe de Steinlen, le dessinateur amoureux des chats! Cimetière Saint-Vincent.
26 mars. Au poil!
L'éphéméride photographique de Montmartre s'arrête aujourd'hui pour le mois de mars car en amoureux infidèle je quitte la Butte pour quelques jours, direction le Siam.
"Mars qui rit malgré les averses (de neige) prépare en secret le printemps"
Nul doute qu'il sera là à mon retour ce sacré printemps qui met des couleurs dans le cœur et des fleurs sur les cerisiers!
Une amie m'ayant demandé de jouer les guides chenus pour des étudiantes croates du lycée bilingue de Zagreb, j'ai composé ce parcours que je crois "idéal" pour saisir l'essentiel de notre Butte et peut-être ressentir l'envie de revenir...
Il faut compter deux heures pour le réaliser et pour attraper au vol un peu de cet air montmartrois fait de souvenirs, de fantômes, de réalités...
Le point de départ est le métro Anvers, la station de Guimard avec son décor floral qui fait penser à des mantes religieuses
Nous sommes sur le boulevard de Rochechouart où se dressait la fameuses barrière dite "des Fermiers Généraux" qui entourait paris et dont le franchissement par les octrois ne pouvait se faire qu'en payant des taxes sur les marchandises.
Information qui n'est pas sans importance car elle explique pourquoi, avant la destruction de ces barrières, les Parisiens venaient dans les bistrots de Montmartre où le vin était moins cher, étant donné qu'il n'avait pas eu à payer l'octroi!
En 1860, Montmartre est rattaché à Paris. bistros et bals, entourés de jardins, battent leur plein!
Nous avons devant nous l'Elysée Montmartre et un peu plus loin le "Trianon" et "La Cigale", rescapés plus ou moins estropiés de la transformation spéculative à outrance de Montmartre.
L'Elysée Montmartre était un bal populaire dont les jardins s'étendaient sur un terrain qui irait aujourd'hui jusqu'à la place Saint Pierre. Nous le voyons tel qu'il fut reconstruit en 1897 avec les structures du pavillon de France de l'exposition de 1889 dont Eiffel avait été l'architecte.
La danseuse du fronton est une exilée qui vient du bal Mabille. Il s'agit d'une danseuse de quadrille qui deviendra bientôt le cancan. C'est ici que la danse mythique verra le jour et non au Moulin Rouge qui en revendique la paternité! Valentin le Désossé commence ici sa carrière montmartroise. La Goulue fait partie de la troupe. Toulouse Lautrec nous en donne une vision vivante et humoristique .
A l'Elysée Montmartre (Toulouse lautrec)
Nous empruntons la rue de Steinkerque, encombrée de joueurs de bonneteau et bordée de boutiques de souvenirs made in China!
Nous entrons dans le square Louise Michel par la porte de gauche, juste avant le funiculaire.
Nous prenons l'allée qui serpente et passe devant la Fontaine que les Montmartrois appellent des Innocents mais qui n'avait pas de nom. Elle rend hommage à Rabelais dont une citation tirée de Gargantua est gravée dans la pierre : Mieux est de ris que de larmes escrire.
La suite, comme chacun sait est : Pour ce que rire est le propre de l'homme.
Elle est l'œuvre d'un sculpteur que l'on redécouvre aujourd'hui : Emile Derré (1867-1938).
Anarchiste, pacifiste, il sculpte l'amour et la joie de vivre. Nous le retrouverons plus haut, après avoir atteint la grande fontaine des Tritons de Gasq .
Nous allons sur la droite et empruntons la deuxième allée en escalier sur la gauche.
Nous découvrons le pont rustique qui donne sur une falaise qui abrite un couple d'amoureux enlacés, de Derré. Jadis une cascade l'abritait derrière un rideau léger mais aujourd'hui elle est tarie et le ruisseau qui cascadait jusqu'à la grotte, en bas du jardin, reste désespérément à sec.
Derré qui avait fait scandale en sculptant un monument aux morts de 14-18 représentant un soldat français et un soldat allemand enlacés, connut à l'approche de la deuxième guerre un tel dégoût et un tel désespoir qu'il se suicida
Réconciliation (Derré) Sculpture disparue aujourd'hui
Nous remontons et grimpons jusqu'au parvis du Sacré-Coeur, là où pendant la Commune étaient entreposés les fameux canons de Montmartre. Nous regardons l'imposante basilique dont les parties sculptées sont dignes d'intérêt, mais nous ne nous attardons pas. L'esprit de Montmartre n'est pas au rendez-vous dans cette église, aussi imposante et orientale qu'elle pût être.
Le square Nadar sous la neige (7 février 2018)
Par la gauche, rue Azaïs, nous passons devant le square Nadar et la statue du Chevalier de la Barre. Nous nous arrêtons un instant et enlevons notre béret, ou casquette, ou bonnet, devant ce jeune homme, le chapeau vissé sur le crâne, fièrement tourné vers la basilique.
Ce n'est pas un Montmartrois, mais un gars du Nord, de Valenciennes qui au XVIIIème ne croyait ni en Dieu ni en diable et qui aimait chanter des refrains libertins. Il n'ôta pas son chapeau devant la procession du Saint Sacrement. Il fut arrêté, torturé, on lui arracha la langue, on lui coupa la main et on le brûla.
Il devint pour Voltaire et les libres penseurs, le martyr de l'obscurantisme religieux. Voilà pourquoi, quand se construisit la basilique, les Montmartrois qui avaient gardé le souvenir de la Commune, obtinrent que sa statue fût placée devant la basilique érigée pour rendre grâce à Dieu d'avoir protégé Paris pendant ces mois de guerre et de révolte. Le Sacré-Cœur a pour adresse 35 rue du Chevalier de la Barre!
L'esprit de Montmartre est au rendez-vous!
(Pour information, notons que la statue d'origine, placée face au Sacré-Coeur, a été fondue sous Vichy et que celle que nous voyons aujourd'hui (œuvre d'Emmanuel Ball) a été inaugurée en 2001.)
Nous apercevons contre le square la fontaine Wallace, petit monument parisien s'il en est. La plupart de ces fontaines ont été financées par un philanthrope anglais, Richard Wallace, habitant Paris et ayant été horrifié, pendant la Commune et le siège, de la misère du peuple privé d'eau. Les quatre cariatides dessinées par Lebourg, représentent les 4 saisons.
Nous montons vers la place Jean Marais devant la vieille église.
Nous jetons un coup d'œil sur la place du Tertre, ancien centre du vieux village, aujourd'hui envahie par des peintres qui vous tirent le portrait pour une centaine d'euros. Puis nous entrons dans l'église, la plus vieille de Paris après Saint-Germain.
Elle a été construite au XIIème siècle, Louis le Gros étant roi de France et sa femme Adélaïde de Savoie étant reine! Son tombeau était placé dans le chœur et la pierre tombale réemployée a été récupérée et dressée à côté de la sacristie.
Nous ne nous attardons pas dans cette belle église dont nous admirons les vitraux de Max Ingrand...
La marche sur les eaux (étonnante composition avec les pieds vus par dessous...
... les colonnes des temples romains de part et d'autre du buffet d'orgue et dans le chœur, le seul chapiteau sculpté rescapé des différents avatars subis par l'édifice.
Ce rescapé représente la luxure! Un homme à tête de renard chevauche à l'envers un cheval dont il tient la queue.
Rue Saint Rustique
Nous sortons de l'église et prenons sur la droite la rue du Mont-Cenis. Nous passons devant la rue Saint Rustique, une des artères du vieux village qui est restée telle qu'elle était du temps des moulins et des vignes.
Rue Cortot
Nous tournons, à droite, dans la rue Cortot, une des plus intéressantes de Montmartre. Au n° 6 une petite maison a de 1890 à 1898, abrité Erik Satie qui y a composé quelques chefs d'œuvre comme les Gymnopédies. Il habitait au deuxième étage un minuscule appartement avant d'occuper, les deux dernières années, une pièce plus petite encore (9 mètres2) qu'il appelait son "placard".
Il habitait encore rue Cortot quand il tomba amoureux fou en 1898 de Suzanne Valadon.
Après la première nuit passée avec elle, il se mit à genoux et proposa de l'épouser. Valadon refusa et après une liaison intermittente de 5 mois, le quitta définitivement, non sans avoir peint le portrait le plus connu de son "amant".
Satie s'enferma dans la souffrance et l'humiliation. Il composa un OVNI musical, intitulé "Vexations", une pièce qui doit être jouée 840 fois. Inutile de dire qu'elle a été peu donnée! John Cage est un des rares à l'avoir jouée, pendant 20 heures...
Musée de montmartre
Voisin de la maison de Satie, nous trouvons le Musée de Montmartre. Nous n'y entrerons pas puisque nous avons limité notre circuit à deux heures. Mais si vous avez le temps de revenir sur la Butte, je vous le conseille. Vous y verrez l'atelier de Suzanne Valadon et le petit appartement où elle vécut avec Utrillo et Utter (reconstitués sur les lieux mêmes)
Musée de Montmartre, l'atelier de Renoir.
Vous y découvrirez le bâtiment où Renoir peignit le fameux bal au Moulin de la Galette.
Le musée est composé de l'hôtel Demarne du XVIIIème siècle ...
...et de la maison du Bel Air (où vécut Rosimond, acteur de Molière) ....
...des collections permanentes et des expositions font revivre le Montmartre de la grande époque.
Dans les jardins, Renoir peignit la fameuse balançoire, Van Gogh le père Tanguy (marchand de couleurs qui habitait la loge du rez de chaussée)... etc...
C'est un des hauts lieux de Montmartre.
A l'étage la fenêtre aux forts barreaux était la chambre d'Utrillo qui ne pouvait sauter dans la rue pour aller au bistro.
Descendons la rue Cortot...A l'angle avec la rue des saules une grande maison bourgeoise a remplacé la maison villageoise où vécut Aristide Bruant, le poète emblématique de la Butte. Ses chansons ne cessent de résonner dans les rues...
"Son p'tit fichu sur les épaule
Elle rentrait par la rue des Saules
Rue saint Vincent...."
Germaine (Picasso)
Nous voilà, à l'angle entre la rue de l'Abreuvoir et de la rue des Saules devant la célèbre maison rose immortalisée par Utrillo, restaurant bon marché où venaient les peintres fauchés, tenu par Laure Germaine qui fut un des modèles de Picasso pendant sa période bleue et dont il fut amoureux.
En face de la maison rose, dans les jardins préservés, on aperçoit la Folie Sandrin. Ce petit château élevé, comme c'était alors à la mode, dans la nature et sous les arbres, portait le nom de "folie" parce qu'elle était dans les feuilles (une feuillée).
Le hasard voulut que cette "folie" fut rachetée par un aliéniste, le docteur Prost, puis par le docteur Blanche afin de recevoir des poètes, écrivains, artistes qui auraient risqué d'être internés dans des hôpitaux psychiatriques et privés de toute liberté. Ils avaient pour théorie que pour soigner ceux qui souffraient de troubles mentaux, il fallait leur donner un cadre chaleureux, naturel et surtout ne pas les priver de liberté.
Le plus célèbre des hôtes de la folie est certainement Gérard de Nerval qui y séjourna en 1841 et la décrira comme une "maison fashionable et aristocratique". Il aima Montmartre où il revint pour y séjourner quelques mois au Château des Brouillards.
Descendons sur une centaine de mètres la rue des Saules pour voir un carré de vignes qui rend hommage à celles qui couvraient la Butte jusqu'à la Chapelle et qui appartenaient aux Abbesses. Elles donnaient un vin blanc de bonne réputation "la goutte d'or" dont un quartier voisin perpétue le souvenir! Elles ne sont pas d'origine, plantées plein nord mais elles donnent l'occasion chaque année à des festivités, vendanges, défilés, bals qui redonnent à Montmartre un peu de sa vitalité bon enfant.
Plus bas, à l'angle avec la rue Saint Vincent, le Lapin Agile est toujours là, tel qu'il apparaît sur les toiles des peintres et les vieilles cartes postales.
Ce fut un des hauts lieux de la vie de bohême montmartroise. Ancien cabaret des Assassins, les Montmartrois à l'esprit narquois lui donnent le nom de Lapin à Gill, puis Lapin agile, quand André Gill peint pour sa façade un joyeux lapin sautant d'une casserole.
En 1902, Bruant le rachète et en fait un lieu de rencontres et d'humour, entre chansonniers, poètes et peintres. Picasso, Modigliani, Utrillo le fréquentent. L'âne Lolo fait partie de sa légende.
On lui trempa la queue dans des pots de peinture, on approcha de son postérieur une toile et on vit naître "le coucher de soleil sur l'Adriatique" qui fut exposé avec succès au salon des Indépendants sous le nom de Boronali (anagramme d'Aliboron).
Nous remontons la rue des Saules et prenons la rue de l'Abreuvoir devant la maison rose. Le buste de Dalida sur la placette qui porte son nom nous rappelle que la "Diva" avait choisi Montmartre pour vivre et pour mourir.
Des fans n'hésitent pas à caresser la poitrine de bronze qui sous l'effet de cette douceur brille comme de l'or. Les Montmartrois vous diront que cet hommage à la chanteuse porte bonheur en amour. Ce qui est un peu téméraire quand on connaît la solitude et les tragédies de la vie de Dalida!
L'allée des Brouillards, un matin d'hiver.
Donnant sur la placette, l'allée des Brouillards a un air provincial avec ses petites maisons qui ont été construites sur les cabanes du Maquis.
Il y avait au XVIIème siècle à leur emplacement le parc du Château des Brouillards que nous pouvons admirer de l'autre côté de l'allée.
Ce château est une folie du XVIIème siècle dont le nom vient des brumes qui s'élevaient de la fontaine du But, située en contrebas et qui servait d'abreuvoir aux animaux.
En 1850 le parc fut sacrifié et plusieurs dépendances détruites. A la fin du siècle une partie de l'ancien château était louée et c'est là que Renoir vint habiter avec sa petite famille après avoir vécu rue Cortot. Son fils Jean, le futur cinéaste de génie y voit le jour.
Gabrielle et Jean
Pour s'occuper de lui, Aline Renoir fait venir de sa province, Gabrielle qui servira de modèle au peintre et que l'on voit sur ce tableau peint au Château des Brouillards.
Continuons rue Girardon jusqu'à la place Marcel Aymé où le passe-muraille sculpté par Jean Marais à la ressemblance de l'écrivain, évoque la nouvelle où un personnage falot comme son nom, Dutilleul, découvre son pouvoir de traverser les murs. Ce qui lui permettra de s'enrichir par le vol, de s'évader des prisons et de rendre visite à sa maîtresse rue du Mont-Cenis. C'est là que voulant s'en aller et passant par le mur, il reste prisonnier, son pouvoir l'ayant abandonné!
Selon le temps dont vous disposez, je vous propose une petite extension sur l'avenue Junot que vous descendez sur une centaine de mètres...
Maison de Poulbot
Pour saluer Poulbot, le plus montmartrois des montmartrois. La maison qu'il fit construire au 13, grâce à son succès est là, énorme, opulente. Elle s'est élevée sur les cabanes du Maquis où il avait passé tant de jours à dessiner et à rencontrer les enfants joyeux et misérables. Toute sa vie il s'est occupé d'eux et il ne faut pas l'oublier devant cette grosse maison où il a fait poser des mosaïques de quelques gosses qu'il avait dessinés.
Mitoyenne de sa maison, on trouve celle de Tristan Tzara, un des instigateur du mouvement Dada, ami de Breton et d'Aragon. Son architecte est célèbre, il s'agit d'Adolf Loos qui en pleine époque Art Nouveau, prône le dépouillement et l'utilisation la plus pratique de l'espace. Un de ses ouvrages porte un titre assez clair : "Ornement et Crime"! Il influence Le Corbusier et toute cette école dépouillée et brutale qui a trop marqué hélas l'architecture de la deuxième moitié du XXème siècle.
En descendant sur une trentaine de mètres l'avenue Junot, nous tomberons sous le charme très british de la Villa Léandre. Elle ne date que de 1926 et elle n'a pas grand chose à nous dire sinon qu'au 8 bis fut arrêtée la célèbre espionne, la Chatte! Quelques acteurs y vécurent. Piccoli y acheta une maison pour Greco qui ne voulut jamais quitter Saint-Germain des prés.
Moulin de la Galette n°1 angle rue Girardon
Retour au début de l'avenue devant le cinéma 13 de Lelouch. Nous voyons le Moulin de la Galette avec son jumeau un peu plus bas rue Lepic.
Ce sont les seuls rescapés des dizaines de moulins qui faisaient tourner leurs ailes sur la Butte.
Moulin de la Galette n°2 rue Lepic
Celui qui a porté le premier ce nom est celui qui est à l'angle de la rue Girardon et qui à l'origine était situé plus haut et s'appelait le Radet. Il date de 1717 et a été racheté par le meunier Debray qui plus tard acquit le deuxième moulin, plus bas, qui s'appelait le Blute-Fin et qui datait de 1622.
Moulin de la Galette rue Lepic, ancien Blute-fin.
Le bal se déplaça vers ce deuxième moulin qui possédait une terrasse sur tout Paris. Debray en fit un lieu de fêtes où peintres et rupins aimaient se délasser. Parmi les peintres qui aimèrent et peignirent ce moulin, on peut citer Renoir, Van Gogh, Signac, Picasso....
Moulin de la Galette par Van Gogh.
Notre balade est bientôt terminée. Il nous reste à prendre la rue d'Orchampt, face au 1er moulin et passer entre les trottoirs les plus étroits de Paris!
Nous jetons un œil sur l'imposante maison de Dalida, là où elle vécut plus de vingt ans et choisit de se donner la mort en mai 1987.
Maison de Dalida rue d'Orchampt.
Nous suivons la rue jusqu'à la rue Girardon et prenons à droite, place Emile Goudeau. C'est la place, célèbre entre toutes, ancienne place Ravignan où l'on trouve le Bateau-Lavoir.
Ateliers (ancien Bateau-Lavoir) côté rue d'Orchampt
Place Emile Goudeau. Le Bateau-Lavoir
Une partie des bâtiments fragiles sont partis en fumée mais la façade modeste reste la même. L'ancienne fabrique de pianos avait été aménagée en ateliers peu couteux appréciés des peintres fauchés.
Ils furent nombreux à y vivre et y peindre mais le plus célèbre est Picasso qui arrive à Montmartre alors qu'il n'a que 19 ans.
L'homme à femme plutôt macho sera aidé par Fernande Olivier qu'il peint à de nombreuses reprises.
C'est au Bateau-Lavoir qu'il finit sa période bleue, peint l'essentiel de sa période rose et surtout qu'il réalise ce qui sera le manifeste du cubisme : "Les Demoiselles d'Avignon".
Nous descendons la rue Ravignan et prenons à gauche la rue des Abbesses, la rue la plus vivante et la plus commerçante de Montmartre, pour arriver sur la place des Abbesses, devant l'église Saint-Jean.
Eglise remarquable qui choqua par sa modernité et que les Montmartrois surnommèrent Saint-Jean des briques. Elle a été construite par Anatole de Baudot, architecte audacieux qui éleva ce premier bâtiment en ciment armé.
Le décor de grés émaillé reste dans l'esprit Art Nouveau orientaliste.
Ce contraste et cet accord entre structure révolutionnaire et décor 1900 est une grande réussite.
Sur la place, nous entrons dans le square Jehan-Rictus pour découvrir le mur des "Je t'aime", devenu une curiosité incontournable.
La phrase magique y est écrite en 311 langues ou dialectes, tandis que les éclats rouges d'un cœur attendent d'être enfin réunis dans cette Babel qu'est le monde!
C'est devant ce mur de l'Amour, opposé à tous les murs de haine et de frontière que nous terminons notre balade dans Montmartre.
Une balade qui s'est voulue légère, sans la prétention de tout dire!
Si elle vous a donné envie de revenir pour connaître d'autres rues secrètes, d'autres légendes, pour visiter le musée, pour descendre jusqu'au Moulin Rouge et pour entendre au détour d'une placette ou dans un escalier, résonner les vieilles complaintes de la Butte, alors le guide d'une demi-journée que j'aurais été, se réjouira et vous dira "A Bientôt!"
.... Et n'oubliez pas... Le vrai Montmartre, c'est l'esprit de poésie et de jeu, c'est le goût de l'anarchie et du plaisir... Alors....
La fameuse maison Neumont est une des plus singulières de Montmartre.
Nous l'avons déjà visitée en rendant hommage à son premier propriétaire, Maurice Neumont, mais n'avions dit que quelques mots de celui qui lui succéda et y mourut, Louis Icart.
1 place du Calvaire. Entrée de la maison Neumont
Réparons cette injustice, d'autant plus criante que j'avais à l'époque émis un jugement assez négatif sur ce peintre connu surtout pour ses illustrations et pour ses dessins érotiques....
Illustration de Louis Icart pour Le Sopha de Crébillon
Il est vrai que son surnom, donné par les Américains de "Peintre de la Parisienne" ne lui a pas été favorable et l'a enfermé dans sa production pour catalogues et magazines féminins.
Il ne prit possession de la maison du 1 rue du Calvaire, une des plus haut perchées de Montmartre, sur un jardin abrupt, qu'en 1943. Le succès qu'il avait rencontré à New-York avec ses parisiennes sophistiquées lui avait permis de récolter une somme suffisante pour une telle dépense.
Son grand amour, Fanny, sa femme qui lui servit souvent de modèle, avait eu le coup de foudre pour cette maison "I900", construite par Louis Brachet, plein sud, fenêtres et baies ouvertes sur Paris étendu à ses pieds!
Quand il entre dans cette demeure entre ciel et terre, il a déjà accompli l'essentiel de son œuvre. Né en 1888, il a 55 ans et se sent libre de dessiner ce qui lui plaît.
Quand , jeune homme, il était arrivé à Paris, sa tante qui possèdait la maison de couture Valmont, l'engagea. C'est ce qui déclencha sa "vocation" pour le milieu du luxe et de la haute couture.
Maison Neumont. La poulie modern-style sur la place du Calvaire.
La glycine
La 1ère guerre le conduisit sur d'autres chemins. Il y participa comme pilote d'avion et comme dessinateur. Sa série l'Exode montre s'il en était besoin quel peintre engagé il aurait pu devenir.
La voix du canon
Après la guerre, il adhéra à l'esthétique Art-Déco. Ses meilleurs dessins en sont de belles illustrations.
Il représente une femme de son temps, libre, indépendante. Une femme sensuelle et épanouie dans un monde où l'homme n'apparaît que rarement.
Si une partie des dessins paraît stéréotypée, il n'en est pas moins vrai qu'on y trouve, dans les plus réussis, un sens évident de la composition et de l'utilisation du décor, souvent en noir et blanc, résille végétale ou dentelle....
Il y a parfois chez Icart, cette présence d'un univers en gestation, des formes qui s'organisent peu à peu et d'où la femme semble sortir comme d'une vague. Comme dans cette composition du "paon blanc", une des plus étranges...
Le feuillage, la lumière, le plumage sont une écume qui dépose sur le rivage la femme émergeant du tourbillon noir de sa robe...
Dans ce dessin,"Diva", la femme est prise dans sa robe comme le sont les amoureux de Klimt dans leur mosaïque d'étoffes. Un filet rouge tombe de sa main, semblable à une tache de sang.
Il est rare de trouver chez Icart cette image de la femme dangereuse, telle que Gustave Moreau (peintre qu'il admire) la représentait.
Ici, c'est de l'ombre et de la mantille que sort le corps lumineux de la femme, comme un fruit de son écorce.
Icart aime associer la femme à la nature. Parfois ce sont les animaux qui l'accompagnent...
...Les souples lévriers, une extension de leur corps et de leur sensualité...
Le chat évidemment...
Plutôt que de concourir à qui sera le plus beau, la femme et le chat sont alliés. Difficile de savoir qui des deux est le plus chat, qui des deux est le plus femme!
Quelques animaux encore, comme ce troupeau de moutons et cet agneau, sous un ciel de tempête, fuyant une menace. Un loup? Un boucher?
Un petit tour dans l'enfance avec ce regard jumeau du Chow-chow et de la femme dans les feuillages!
Louis Icart a vécu jusqu'à sa mort, en 1950, dans cette maison de rêve, donnant d'un côté sur un jardin sauvage, avec vue sur tout Paris, et de l'autre sur la petite place du Calvaire, un endroit de Montmartre qui a par miracle échappé à la destruction!
C'est de cette maison près du ciel qu'il s'envole comme un Icare dont les ailes ne se seraient pas détachées.
Son œuvre légère et élégante témoigne aujourd'hui d'une époque qui, entre deux catastrophes, aima se réfugier dans un rêve de luxe et de charme.
Une futilité apparente qui s'assume, non sans humour parfois et qui a la modestie de ne pas se prendre au sérieux.
Pour les curieux, voici quelques cartes postales de la maison Neumont qui datent du début du XXème siècle, alors qu'elle était habitée par celui qui l'avait fait construire. Elles sont prises dans le jardin, devant la façade qui aujourd'hui est en partie cachée par les arbres.
Au n°1 de la place Pigalle, là où aujourd'hui un ennuyeux immeuble, flanqué en rez de chaussée d'un Monop', fait l'angle avec le boulevard de Clichy, fut inauguré en 1886 un des cabarets réputés de Pigalle : l'Abbaye de Thélème.
Le bâtiment avait été avant sa transformation, un hôtel particulier qui d'après André Roussard fut construit pour le peintre Narcisse Diaz de la Pena, ami de Millet et faisant partie du groupe de l'Ecole de Barbizon.
Mare après l'orage (Diaz de la Pena)
Ce qui est sûr, c'est qu'un autre peintre y vécut pendant une dizaine d'années. Il s'agit de Ferdinand Roybet qui connut le succès avec ses figures de soudards, de mousquetaires, de mendiants, de ripailles dans les auberges (il annonçait sans le savoir le futur cabaret!)
Page avec deux dogues (Ferdinand Roybet)
Le nom choisi pour le nouvel établissement est celui que Rabelais donne dans son Gargantua à l'abbaye idéale qui prend le contrepied de celles de son temps. La devise gravée sur le portail est inspirée de Saint Augustin, "Fay ce que voudras". Magnifique devise, un tantinet optimiste, qui fait confiance en l'homme pour n'utiliser cette liberté que pour le bien... et qui se comprend mieux lorsque l'on donne sa version originale : Aime et fais ce que tu voudras.
Illustration de Gustave Doré
Le jour de l'inauguration une grande fête est donnée où sont conviés artistes et journalistes. L'invitation paraît dans le Courrier Français :
"Les Thélémites ont l'honneur de vous inviter à fêter François Rabelais en inaugurant son Abbaye de Thélème, 1 place Pigalle, sous la présidence de leur vénérable prieur Alexis Bouvier."
Alexis Bouvier (André Gill)
L'Abbaye n'a rien d'austère et la décoration s'inspire de Pompéi et d'un Moyen-Âge fantasmé, flamboyant et annonciateur de la Renaissance. Pompéi pour l'érotisme, le gothique pour les ripailles et les scènes historiques.
Il ne subsiste rien des panneaux peints qui couvraient les murs dont Henri Pille fut un des principaux artisans.
Il est alors à la mode et il est impossible de ne pas s'attarder un instant sur ce peintre montmartrois qui vécut de 1844 à 1897 et qui fut une figure de la vie nocturne de notre Butte.
Il fut l'un des créateurs les plus doués du théâtre d'ombres du Chat Noir et il connut le succès avec ses scènes historiques ou de genre mâtinées d'humour.
Il choisit des scènes rabelaisiennes tirées des guerres pichrocholines pour couvrir les murs de l'Abbaye. Il est également l'auteur des trois vitraux (l'Amour, François 1er, le repas de Pantagruel) qui éclairaient la salle réservée aux expositions des peintres de Montmartre.
Un autre peintre participe à la décoration. Il s'agit de Léon Tanzi (1846-1913) tombé dans l'oubli, qui fut un élève de Bouguereau et se spécialisa dans les scènes de genre et les paysages. Il fit le portrait d'Alexis Bouvier, exposé dans le premier vestibule et il créa des panneaux représentant Gargantua ripaillant ou à cheval sur les tours de Notre-Dame.
Léon Tanzi. Portrait de Mlle Dubois.
Au dernier étage les amateurs peuvent réserver un des cabinets particuliers qui leur assurent tranquillité et anonymat avec de belles dames qui ne sont pas d'antan.
Le mobilier est d'inspiration gothique flamboyant. Les serveurs et les serveuses sont déguisés en moines et en moniales avec robes de bure et ceintures de cordelettes. Ils n'ont rien d'austère malgré leur tenue et ils nous font penser à ce que disait Rabelais des monastères à l'ombre desquels une femme ne pouvait passer sans tomber enceinte!
L'Abbaye est vite à la mode et elle est fréquentée notamment par les journalistes du Courrier Français.
Elle n'a pas auprès des peintres et des écrivains le même succès que la Nouvelle Athènes ou le Rat Mort mais on peut y voir, clients fidèles, Raoul Ponchon, Etienne Goudeau ou Emile Carjat.
Raoul Ponchon en bonne compagnie (Willette)
Raoul Ponchon (1848-1937) est chroniqueur au Courrier Français où il écrit en vers. Il est, comme il le dit lui-même, un simple rimailleur. Il a peu publié (seul recueil, "La Muse au Cabaret") et s'il est encore connu aujourd'hui, c'est pour son célèbre quatrain :
Quand mon verre est vide
Je le plains
Quand mon verre est plein
Je le vide
Emile Goudeau
Inutile de présenter Emile Goudeau dont la place du Bateau-Lavoir perpétue la mémoire. Buveur passionné, poète irrévérencieux, il est le fondateur du Cercle des Hydropathes et un des représentants les plus brillants de l'esprit railleur et mystificateur du Montmartre légendaire aujourd'hui disparu.
Emile Goudeau aurait pu s'appeler Goudevin ou Goudabsinthe! Ce mal nommé s'amusa en dédiant aux hydropathes ("qui se guérissent en buvant de l'eau") son fameux Cercle, lui qui écrivit une ode au vin qui commence ainsi :
Ah si la Seine était de ce bon vin de Beaune
Et que mon ventre fût large de plusieurs aunes,
Je m'en irais dessous un pont
M'y coucherais tout de mon long
Et je ferais descendre
La Seine dans mon ventre...
(Ode au vin. Poèmes Parisiens)
Etienne Carjat par lui-même
Le moins connu des habitués de l'Abbaye y venait en voisin. Il s'agit d'Etienne Carjat.
Ce caricaturiste, fervent de la Commune, fut aussi photographe. Il faisait partie du Club des Vilains Bonshommes, artistes qui se réunissaient pour ripailler et rimailler. Verlaine en faisait partie et c'est là qu'il amena un jeune poète frais débarqué de province, Arthur Rimbaud qui fit sensation en lisant son Bateau Îvre.
"Ô que ma quille éclate! Ô que j'aille à la mer!"
Nous avons vu que Rimbaud avait blessé Verlaine au Rat Mort. Il fit de même, à l'Abbaye de Thélème, avec Carjat qu'il blessa d'un coup de canne-épée après une discussion avinée et violente. Le résultat fut une grande perte pour nous car Etienne Carjat avait pris de nombreuses photos du jeune poète. En rentrant chez lui, il détruisit tous les négatifs. Ne subsistèrent que 8 épreuves aujourd'hui mondialement connues!
Jules Chéret pour le Courrier Français.
Parmi les habitués, les journalistes et dessinateurs du Courrier Français avaient chaque vendredi, une salle qui leur était réservée. Rappelons que le journal s'était investi dans le lancement et le succès de l'Abbaye.
Jules Berry. Les Visiteurs du Soir.
L'Abbaye traverse les années, toujours appréciée des noceurs qui pouvaient trouver un restaurant ouvert toute la nuit. Dans les années 1930, elle reçoit fréquemment la visite de Jules Berry qui, après le théâtre et les salles de jeux où il flambait tous ses cachets, venait se restaurer.
Avant de disparaître, elle se métamorphose à plusieurs reprises, en cabaret de chansonniers "Le coup de patte" sous la direction de Martini, "La Fête Foraine" avec Bordas, "Les Naturistes" avec O'Dett....
Mais la grande histoire de Montmartre est terminée. Les cabarets ferment les uns après les autres et le bâtiment qui avait connu tant de nuits agitées, brillantes et bruyantes est détruit pour laisser place à l'indigent immeuble, triste et sans caractère.
Les lettres rouges du Monop sont les seules couleurs sur la façade ingrate. Le Rat Mort est une banque, la Nouvelle Athènes un supermarché bio.... seule la fontaine de Davioud au centre de la place est restée là, témoin muet du passé....
Nous sommes repartis pour un mois de photos dans notre village-monde de Montmartre!
2 février, rue du Calvaire. Ma maîtresse et moi on a les mêmes bottes. Normal Non?
3 février. Les petits mendiants jouent un instant devant le Moulin Rouge.
4 février. Froid glaçant mais soleil pour les amoureux!
5 février. Il neige à Montmartre!
6 février. Le sourire des enfants et des grands sous la neige!
Rue Gabrielle
Rue Cardinal Dubois
Rue Poulbot
Place du Tertre
7 février. Le plus beau jour de cet hiver! Il a neigé toute la nuit! Montmartre est féérique!
I L'ennemi approche. Courage, fuyons!
II L'ennemi arme son tir!
III La boule de neige passe au-dessus de la proie!
8 février. Histoire sans paroles, rue d'Orchampt.
Café du musée de Montmartre
9 février. Ski de fond devant la Basilique
10 février. Place du Tertre. Le peintre et les pigeons (les vrais!).
11 février place du Tertre. Gare au gorille!
12 février. Les pompons-girls devant le Sacré-Coeur!
13 février. Tenue "Grand-froid". Square Louise Michel.
14 février. Saint Valentin, square Louise Michel.
15 février. Menace sur la ville? Parvis du Sacré-Coeur.
16 février. Chien volant rue du Mont-Cenis.
17 février. A Montmartre tout le monde dit "I love you"
18 février. Le regard du batteur. Place Suzanne Valadon.
19 février. Cheveux blonds et cheveux noirs! Place du Tertre.
20 février. Singing in the winter. Devant le Sacré-Coeur;
21 février. Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics... Square louise Michel.
22 février. Musique malgré le froid. Boulevard Rochechouart.
23 février. Mais.... il est sorti de son portrait!
Place du Tertre.
24 février. Une chanson de Prévert ?
25 février. Rue de Clignancourt. Il y a un homme sous les couvertures, contre le gros nounours qu'une petite fille lui a donné. Un peu d'amour par grand froid? Il fait -3°....
26 février. Amateurs d'art place du Tertre.
26 février. Le merle square Jehan-Rictus.
27 février. Trois générations par froid polaire, place du Tertre.
27 février. Retrouvailles avec notre peintre aux pigeons. François d'Assise place du Tertre.
28 février
Rue Utrillo. Température ressentie -7°!
28 février
Février s'achève dans un froid mordant
Il paraît que c'est le mois où l'on meurt le plus
Par chance un grand soleil éclaire la colline
Il réchauffe les malheureux qui vivent dans les rues
Il donne un peu de répit aux oiseaux et aux chats du square Louise Michel
Mars se prépare...
Qu'il n'oublie pas qu'il eut son temple à Montmartre où il fut vénéré!