Feuilles, fleurs, fruits, vers 1929 (huile sur toile).
Sans avoir jamais appris la peinture ou le dessin, Séraphine Louis a peint des toiles qui nous font entrer dans un monde de lumière, de couleurs, de vie et d'exubérance.
Un monde d'inquiétude aussi, avec dans son foisonnement, une angoisse diffuse.
Feuilles.... (détail)
Il est difficile d'imaginer femme plus modeste.
Sa mère est fille de ferme et son père petit horloger.
A 13 ans, elle est placée comme bonne à Paris.
A 18 ans, elle est engagée comme femme à tout faire par les soeurs du couvent Saint-Joseph-de-Cluny à Senlis. Elle y reste 20 ans. Et Dieu sait(!) combien les religieuses alors
étaient dures avec leur domesticité...
Elle est ensuite bonne à Senlis.
Les marguerites. Huile.
C'est là qu'elle est remarquée par un amateur éclairé, un allemand à la sensibilité et au goût rares qui est un des premiers à "voir" le jeune Picasso, le douanier
Rousseau et cette étonnante Séraphine.
Cet allemand, c'est Wilhelm Uhde qui prend Séraphine à son service, surtout pour lui permettre d'exercer sa passion de peindre.
Buisson de feuilles. 1925-1928. Huile.
Anne-Marie Uhde (soeur de Wilhelm) écrit a propos de Séraphine Louis : " Elle s'adressait au ciel, aux nuages, aux arbres, aux fleurs des champs, à tous les êtres de la nature.
Elle était directement en communication avec les puissances cosmiques."
Buisson... (détail)
Ce lien avec la nature la conduit à ne peindre que des feuilles, des fleurs, des plumes, des coquillages, qu'elle fait vivre sur d'étranges arbres ou des buissons touffus.
Une de ses toiles représente l'arbre de vie, mais on peut penser aux arbres mystiques comme celui de Jessé qui relie ciel et terre et dont elle voit une représentation
chatoyante sur les vitraux de la cathédrale de Senlis où elle va souvent prier.
Bouquet de feuilles. Huile.
Son ange gardien s'adresse à elle pour la pousser à peindre. Séraphine vit dans un
univers aux frontières floues, entre réalité et surnaturel.
Elle a souvent des visions, des apparitions.
Il lui arrive, comme à Jeanne d'Arc, d'entendre des voix célestes lorsqu'elle regarde les vitraux.
Nul doute que la profondeur lumineuse des verrières gothiques n'ait influencé son art.
Le passage du soleil à travers les vitraux... l'aspect mouvant et vivant qu'il confère aux personnages et aux paysages de verre coloré...
Comme si le soleil traversait la matière, en mélangeant les formes, en les faisant mouvoir, en les projetant selon l'intensité, vers l'intérieur ou vers
l'extérieur.
Séraphine juxtapose et emmêle ses feuilles, ses fleurs, ses plumes, au point de leur donner un mouvement, un foisonnement de planètes.
Bouquet. Détail.
Feuilles, fleurs, fruits... C'est la création qui tourne et monte vers son
créateur.
Il y a dans ses toiles la vitalité, la richesse, l'imagination
médiévales. Certaines ressemblent à des tapisseries.
Elles en ont presque la texture, l'épaisseur des laines colorées.
La "matière" des oeuvres de Séraphine est unique. On la reconnait sans mal, comme on
reconnait la "pâte" et la patte de Van Gogh.
Nul ne pourra la reproduire.
L'artiste était jalouse de ses préparations dont elle gardait le secret. Elle pouvait utiliser de la peinture industrielle, comme du Ripolin, et des mélanges de
couleurs et de laque.
Ce tableau de feuilles part de la terre avec ce vase de roches en fusion, ce volcan qui projette les feuilles qui tournoient et relient dans leur mouvement le ciel et la
terre.
Séraphine se recueillait longuement et priait avant de peindre. Cette concentration lui permettait ensuite de se libérer, de libérer ses forces,
ses pulsions.
Elle en sortait, épuisée, comme après l'amour.
Feuilles diaprées sur fond bleu. 1929. Huile.
Ces feuilles diaprées sont comme un broderie de soie et de perles sur du
velours.
Grappes de raisin. 1930.
Les grappes de raisin sont portées par un tronc de palmier qui donne naissance à des
feuilles et des fleurs. L'arbre est entouré de petites antennes végétales qui le font vibrer.
Les grappes sont souvent représentées dans les églises.
Elles donnent le vin qui est corps du Christ.
Le vin, c'est la communion et l'ivresse.
La toile se fait vibration et chair.
Le fruit mystique est fruit érotique.
Grappes de raisin; Détail.
La peinture épuise Séraphine qui donne des signes de dérèglement psychique.
Elle doit être internée en 1932.
On diagnostique alors une psychose hallucinatoire.
Elle a 68 ans.
Fleurs et fruits. 1920.
"Idées délirantes systématisées de persécution, hallucinations psycho-sensorielles, troubles de la sensibilité profonde."
L'ange gardien a les ailes coupées et les pieds enchaînés.
Il ne peut plus aider Séraphine qui est internée dans l'asile de Clermont-de-l'Oise.
Fleurs et fruits; Détail.
Séraphine ne peindra plus.
Elle vivra encore dix ans entre les murs de l'asile.
Bouquet de fleurs sur fond rouge. 1925-1930
Elle meurt à 78 ans et elle est jetée dans la fosse commune.
Pommes aux feuilles.
Son corps se mêle à la terre. Il devient fleur, feuille, fruit...
Il est là, modeste et puissant, charnel et rêveur...
Il est dans chacune de ses toiles
Et comme un ange, il nous entraîne vers les étoiles
Toile-étoile
Univers de vie intense, corps et âme.
Toutes les toiles de cet article peuvent être vues au musée Maillol.
59-61 rue de Grenelle.
Paris 75007.
Tous les jours de 11 h à 18 h sauf mardi et jours fériés.
Lien :Camille Bombois peintre à Montmartre
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