La rue Saint-André en 1880. (Pour la rue aujourd'hui voir : rue André Del Sarte Montmartre. )
Le Bulletin du Vieux Montmartre nous donne de précieux renseignements sur notre rue du temps où elle s'appelait rue
Saint-André.
La gravure ci-dessus nous montre l'escalier Sainte-Marie (aujourd'hui rue Paul Albert) avec à droite, au niveau de l'arbre, la rue Saint André qui se prolongeait tout au long de l'actuelle rue
Ronsard pour arriver Place Saint-Pierre.
La rue André Del Sarte au moment où elle change de nom pour s'appeler rue Ronsard.
Pour redonner vie à la rue du 19ème siècle, je cite le texte écrit par Eugène Gaignette dans le Bulletin du Vieux Montmartre de 1922.
"Mes parents sont venus, un peu avant la guerre de 1870, habiter le logement que j'occupe actuellement. C'est vous dire que j'ai connu toutes les transformations de l'ancienne
rue Saint-André, d'abord simple sentier aboutissant à la Butte, ensuite rue finissant en impasse, aboutissant ensuite à la place Saint-Pierre, par un retour en équerre, qui englobait alors les
rues actuelles Charles Nodier, Cazotte, le marché couvert, la rue Ronsard et de l'autre côté, la rue Foyatier."
Ière surprise : Gaignette écrit :
" Au numéro 15, Benjamin Constant eut son atelier. Il ne reste personne pour parler de lui."
Le 15 aujourd'hui.
Benjamin Constant, une des grandes figures politiques et littéraires de la fin du 18ème et de la 1ère moitié du 19ème, aurait travaillé dans notre rue!
L'amant de Mme de Staël, l'auteur d'Adolphe, aurait respiré l'air rupestre de Montmartre!
Benjamin Constant. La butte (1878). On reconnaît le coude que fait la rue vers la rue Ronsard actuelle et à droite on devine l'escalier Sainte-marie (paul Albert aujourd'hui) le long des baraques.
Eh bien non!
Il ne s'agit pas de lui mais d'un peintre qui eut un grand renom en son temps : Jean-Joseph Benjamin Constant(1845-1902). Il fut élève de Cabanel avant d'être influencé par Delacroix et de
s'inspirer de l'Orient. On lui doit entre autres oeuvres, le plafond de l'Hôtel de ville de Paris, celui de l'Opéra Comique et quelques fresques murales de la Sorbonne. C'est lui qui aurait
milité pour que la rue porte le nom du peintre florentin.
"Entrée de Mohamed II à Constantinople"
Benjamin Constant (1876).
"La rue Saint-André prit le nom de Luc-Lambin, à l'époque de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat et quelques années après celui d'André Del Sarte, à l'instigation, je crois de
Benjamin Constant."
Poursuivons la lecture de Gaignette :
" La poste, peu familiarisée avec le grand peintre italien, dirigeait nos lettres rue Saint-André-des-Arts, d'autant plus que le public les adressait souvent rue Saint
André-del-Sarthe!"
Les habitants de la rue souriront, eux qui reçoivent si souvent des enveloppes libellées rue "André del Sarthe" quand ce n'est pas "André del Sartre"!
Le 2 et le 4, modestes immeubles qui sont
restés tels que Gaignette les a connus. Le 2, comme le 10 sont protégés.
Le 2 date du tout début du 19ème puisqu'il figure sur le cadastre de 1810.Il est très caractéristique de l'ancien village de Montmartre.
Le 6 où a vécu Gaignette.
"Quand nous sommes venus là, les numéros 2, 4 et 6 étaient ce qu'ils sont aujourd'hui. Le 8 était un petit pavillon séparé du 6 par un jardin tonnelle où l'on venait banqueter "à la
campagne". Lisbonne était mon voisin au numéro 8. Il avait acquis une voiture ayant appartenu au duc de Brunswick, et qu'il avait peinte en rouge. Dans cet équipage, attelé de deux chevaux
étiques, adornés de grelots, le colonel revenait se coucher à 2 ou 3 heures du matin et réveillait toute la rue par le bruit de ferraille de son véhicule."
Deuxième surprise : Maxime Lisbonne, un des héros de la Commune dont il fut surnommé le d'Artagnan, l'homme de théâtre, le créateur de cabarets, le combattant infatigable pour la justice et la
mémoire... Cet homme exceptionnel a vécu, de retour du bagne en 1880, dans notre rue qu'il n'a quittée que dans les dernières années de sa vie pour aller mourir à la Ferté Allais, en mai 1905,
quelques mois après sa vieille amie, Louise Michel!
Le 8 aujourd'hui. Un immeuble de briques a remplacé la maison du colonel Lisbonne et la tonnelle qui abrita des repas champêtres! Même le café, le Del Sarte qui s'y était
installé a fermé ses portes il y a une dizaine d'années!
Il y aurait beaucoup à dire sur ce personnage hors du commun, patriote, républicain qui s'éleva contre le silence, l'indifférence et le mépris des radicocos et des saucissialistes
(dixit Willette) sur le sort fait aux fédérés traités comme des criminels et envoyés au bagne.
Il créa plusieurs journaux : l'Ami du Peuple et plus tard, le Citoyen de Montmartre.
Il dirigea les Bouffes du Nord où il monta Nadine, une pièce de Louise Michel.
Il ouvrit sur le boulevard Clichy, la Taverne du Bagne, décorée de fresques dénonçant les horreurs de la déportation.
Plus tard, il créa la Brasserie des Frites Révolutionnaires où les frites étaient servies par une voiture cellulaire. C'est là que Marcel Legay chanta "Ecoute ô mon coeur", la chanson
qui fait toujours monter aux yeux des Artésiens, quelques larmes!
Chapeau l'artiste! Nous sommes fiers d'être, à quelques générations près, tes voisins!
Revenons à notre Gaignette :
"Il y avait deux puits dans la rue. L'un au numéro 4, partie de la boutique où le marchand de vin serre maintenant son charbon, un autre entre le 17 et le 19 affectant une forme circulaire
au-dessus de l'échoppe".
Le puits cadenassé au 17 bis. C'est l'ancienne échoppe dont parle Gaignette.
Ce dernier puits existe toujours, c'est celui que les habitants du quartier nomment le puits des insurgés et qui aurait permis aux combattants de la Commune de se désaltérer.
"Au 12 était une vacherie qui disparut peu avant celle de la rue Carrière, aujourd'hui Seveste, et attenante au bureau de tabac au coin de la rue d'Orsel."
Le 12.
Plus de vaches mais un marchand de BD pour bédéphiles éclairés et un cabinet d'infirmières!
"Après le 12, des petites cabanes, comme aux deux côtés de l'escalier Sainte-Marie de si curieux aspect. (...) derrière les cabanes de gauche, une chaumière occupée par la Mère aux
Chèvres dont les élèves étaient les libres occupants."
Cabanes du maquis (peuvent donner une idée des cabanes
de la rue Saint-André)
cabanes du maquis de Montmartre
Un des immeubles bâtis à l'emplacement
des cabanes.
Ultime précision donnée par Gaignette sur la dernière maison au 24:
"Au 24 actuel, maison avec statuette en terre cuite entre deux jardins dont le second était limité par la rue pierre Picard. A la suite petit monticule, au tournant de la rue (...) Sur cet
emplacement un hôtel borgne et une masure d'un étage, le tout au lieu-dit la Butte aux Cochons."
Et voilà! Ne manquaient que les cochons!
Et la panthère... qui surveille la rue, depuis son appui de fenêtre, au numéro 13...
Je tiens à remercier Hélène G., qui m'a fait parvenir ce document exceptionnel qui m'a permis d'écrire cette page.
Liens :
rue André Del Sarte Montmartre.
Rue Andre Del Sarte. Cartes postales
anciennes.
Montmartre. Rue Feutrier.
rue Ronsard Montmartre.
Rues de Montmartre. Classement alphabétique.
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