Sous les frondaisons du cimetière, les yeux de marbre blanc fermés par la rêverie de la mort, le buste du poète Henry Heine (1799-1858) nous fait lever la tête...
Il n'aurait pas aimé qu'on érigeât sur sa tombe un tel monument. Il ne voulait qu'une pierre et une inscription : "Ici repose un poète allemand".
Et pendant des années sa volonté fut respectée.
Mais en 1901, ses admirateurs ont voulu lui rendre hommage et ont fait élever ce monument dont la sculpture est due à Ludwig Hasselriis.
La femme du poète, Augustine Crescence Mirat qu'il rebaptisa Mathilde n'a pour seule identité que d'être "Frau Heine"! Madame Heine!
Ainsi en est-il des femmes des grands hommes... On ne les connaît que par leur mari, et encore! Les hommes des femmes célèbres, connaissent je l'espère, le même sort....
Les dernières années de Heine furent une longue agonie. Il était persuadé d'avoir la syphilis alors que plus vraisemblablement il souffrait d'une myopathie dont il subit les premières attaques paralysantes 13 ans avant sa mort.
Pendant ces dernières années, il changea plusieurs fois d'appartement, quittant Montmartre pour Passy puis pour la rue d'Amsterdam où il souffrit du manque de lumière, plus de six ans. Il se réfugia enfin rue de Matignon où il pouvait voir quelques arbres. Ces arbres qui aujourd'hui lui font une voûte de leur feuillage...
Tombe de Théophile Gautier
Il restait des journées entières dans son fauteuil, incapable de bouger et devint si maigre que son ami qui repose à quelques mètres de là, Théophile Gautier, dit de lui qu'il était "une âme vivant sans corps".
Un poème est gravé sur le marbre :
"Où se trouvera un jour la dernière demeure du voyageur épuisé par les errances, sous les palmiers du sud, sous les tilleuls du bord du Rhin?
Serai-je jeté en terre sans égards par des mains étrangères ou reposerai-je dans les sables, au bord de l'océan?
Où que je me trouve, c'est la voûte du ciel divin qui me couvrira et les lampes funèbres qui me veilleront seront les étoiles dans la nuit."
Les oeuvres du "Juif Heine" furent brûlées par les Nazis en 1933. Le poète, visionnaire, comme le sont tous les vrais poètes, avait écrit en 1820, dans sa pièce Almansor, au sujet des autodafés de Cordoue :
"Das war ein Vorspiel nur, dort wo man Bücher verbrennt, verbrennt man auch um Ende Menschen."
"Ce ne fut qu'un prélude car là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes".
A une centaine de mètres de la tombe de Heine, les plaques ne manquent pas qui rappellent l'existence d'hommes et de femmes disparus dans les camps.
... Et moi je m'éloigne en redisant les vers que j'ai appris à l'école et que je n'ai jamais oubliés : Ich Weiss nicht was soll es bedeuten, Dass ich so traurig bin...
Je ne sais dire d'où me vient cette tristesse qui m'étreint.....
Je tiens à ajouter la belle traduction des vers gravés sur la tombe due à Michèle Perrier
Où sera la dernière demeure du voyageur lassé de tant d'errance?
Sous les palmiers du sud? Sous les tilleuls du Rhin?
Serai-je enseveli quelque part dans le désert par une main étrangère?
Ou bien reposerai-je dans le sable en bordure de mer?
Où que je sois, le ciel de Dieu m'enveloppera
Et dans la nuit flotteront les étoiles, lanternes des mort.
Cimetière Montmartre. Classement alphabétique. Calvaire et Saint-Vincent.