Dessin de Georges Redon
Il est le créateur de chansons le plus prolifique de Montmartre, dans cette deuxième moitié du XIXème siècle pourtant si féconde...
Sa vie , son oeuvre sont totalement liées à notre quartier et il est impossible d'évoquer la vie foisonnante des cabarets, des journaux, des artistes sans lui donner la place qu'il mérite, une des premières avec Bruant...
Petit de taille (il en éprouve un vrai complexe), la barbiche agressive et le regard que certains trouvent "louche" il transforme en agressivité sa crainte de n'être pas aimé. Certes il ne peut modifier son regard, ayant été éborgné par l'épine d'un fagot qu'enfant il manipulait sans précaution. Sur tous ses portraits, on remarque cet oeil fixe et trop ouvert.
Savonnage infructueux : -Juifs, chez nous, en France, le sang, seul, lave une tache comme celle-là !
Ce personnage excessif, fasciné par la mort et son instrument d'alors, la guillotine, à laquelle il consacre plusieurs poèmes dont la célèbre "Veuve" qu'interprétera Damia, était comme Willette son ami, un antisémite notoire dont les textes violents publiés dans La Libre Parole Illustrée de Drumont jettent une ombre noire sur toute l'oeuvre...
Jules Théodore Louis Jouy est né à Paris (non pas sur la Butte mais du côté de Bercy) en 1855. Il commence sa vie professionnelle comme garçon boucher. Est-ce le spectacle d'animaux égorgés et le dépeçage de cadavres qui l'ont marqué alors qu'il était encore adolescent, au point de hanter ses poèmes et de suspendre au-dessus de sa tête comme une obsession, le couperet tranchant de la guillotine?
Plus tard, il passe du métier de découpeur de cadavre à celui de peintre sur porcelaine. Ces deux professions vont bien avec ses textes, à la fois violents et précis, sanglants et ciselés.
Il compose ses poèmes avec une facilité qui époustoufle ses amis. Il écrit d'un seul jet, sans ratures. Il produit des chansons "comme un pommier des pommes".
Il commence sa carrière en collaborant à des journaux comme il en fleurit tant à Paris. Il a 21 ans quand il publie dans "Le Tintamarre" des textes anticléricaux sans nuances. Il collabore ensuite au "Sans-Culotte" avant de fréquenter le fameux Cercle des Hydropathes de Goudeau et de devenir rédacteur en chef du Journal des Hydropathes.
Sapeck "Roi des Fumistes"
A 26 ans, il rejoint le groupe des Hirsutes avant de fonder avec Sapeck, chef de file des Fumistes, l'Anti Concierge, journal éphémère de défense des locataires ; ce qui ne l'empêche pas d'écrire :
Bah! j'm'en fich' d'avoir pas d'foyer Car si j'n'ai pas d'rond dans ma poche, Au moins j'n'ai pas d'terme à payer.
L'Anti-Concierge
Parmi les journaux auxquels il collabore ou qu'il fonde, le Journal des Merdeux (vite censuré pour pornographie) est un des plus radicaux puisque tous les textes et tous les dessins y sont consacrés à la merde. Certains journaux actuels, sur papier ou sur la toile, pourraient sans se déjuger porter ce titre !
Rodolphe Salis
Jules Jouy rencontre Salis et devient chansonnier au Chat Noir où il connaît quelque succès. Mais son caractère est tel qu'il ne peut s'entendre longtemps avec Salis qu'il surnomme "le pouacre" et qu'il cherche à concurrencer en créant avec quelques autres chansonniers dissidents un nouveau cabaret, place Vendôme : le Chien Noir. Cabaret où Théodore Botrel fait ses débuts en 1893.
Son premier grand succès date de cette époque. C'est "Derrière l'omnibus" chanté par Paulus.
Une rencontre plus forte que les autres marque Jules Jouy. C'est celle de Jules Vallès. il collabore à quelques numéros de son journal "Le cri du Peuple".
C'est son époque la plus prolifique. Il écrit chaque jour une nouvelle chanson! Certaines sont des petits chefs d'oeuvre, comme "la Fille d'Ouvrier", raccourci saisissant de la vie d'une fille du peuple, (à écouter en fin d'article) successivement chair à guignon, chair à pavé, chair à travail, chair à patron, chair à client, chair à trottoir, chair à roussin, chair à prison, chair à savant, chair à scalpel....
(...) A quinze ans ça entre à l'usine Sans éventail Du matin au soir ça turbine Chair à travail Fleur des fortifs, ça s'étiole, Quand c'est girond Dans un guet-apens ça se viole Chair à patron.
(...)D'un mal lent souffrant le supplice Vieux et tremblant, ça va geindre dans un hospice Chair à savant. Enfin ayant vidé la coupe Bu tout le fiel, Quand c'est crevé ça se découpe Chair à scalpel
La guillotine (Willette)
Il écrit "La Veuve", un texte violent sur cette putain sanglante qu'est la guillotine : "Damia le chantera plus tard après en avoir demandé la mise en musique à Pierre Larrieu.
Couverture du recueil "Les Chansons de l'année". Illustration de willette.
En 1888, il quitte le Cri du peuple pour un autre journal : Le parti Ouvrier. C'est cette même année qu'il publie son premier recueil : Les Chansons de l'Année. Trois autres suivront : Les Chansons de Bataille (1889), La chanson des Joujoux (1890), La Muse à bébé (1891).
Pendant ces années d'intense production, il rencontre un succès qui ne se dément pas. Il est interprété par les plus grandes vedettes de son temps : Yvette Guilbert, Thérésa, Fragson, Paulus, Bruant...
Boulanger par Gabriel Roques
C'est aussi pendant ces années qu'il écrit un nombre considérable d'articles contre Boulanger qu'il surnomme "l'Infâme à barbe"...
...et qu'il écrit hélas sa chanson "les Accaparés" véritable appel au meurtre des "nuisibles" que sont les Juifs en général et le baron Rothschild en particulier...
(...)Sachez-le gros barons, nous vous rattraperons, Mauvaise teigne, Nous serrerons à mort : Quand le Juif saigne, C'est notre argent qui sort !
Ces tristes paroles, ces sinistres appels au meurtre justifient le relatif oubli dans lequel est tombé Jules Jouy.
Pourtant, il n'a pas à se plaindre, il a sa rue à Montmartre, contrairement à Willette qu'on a chassé, à juste titre, du square du Sacré Coeur pour le remplacer par Louise Michel et contrairement à Céline, Montmartrois de la rue Lepic et de la rue Girardon qu'aucune plaque ne rappelle au passant qui ignore ainsi que c'est là sur notre butte sanctifiée par la Commune, qu'il a produit quelques uns de ses pamphlets les plus ignobles...
Suite :
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" Fille d'ouvriers" interprété par Michèle Bernard :
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