Le 84 boulevard de Rochechouart a une longue histoire montmartroise, dominée par la figure puissante d'Aristide Bruant.
Le Chat Noir 84 boulevard de Rochechouart
C'est là que Rodolphe Salis ouvrit en 1881 dans un ancien bureau de poste un cabaret. C'est à lui que revient de l'avoir baptisé "le Chat Noir".
L'enseigne du 1er Chat Noir due à Willette. Steinlen s'en inspirera quand il créera la célébrissime affiche pour le 2ème Chat Noir de la rue Laval.
Il trouva en effet, abandonné dans le local désafffecté, un chat efflanqué qu'il adopta et qui lui porta bonheur quand il eut l'inspiration d'engager Aristide Bruant. (Voir l'article : Le premier cabaret du Chat Noir. )
Toulouse Lautrec et Louis Anquetin au Mirliton
En 1885 quand le cabaret est transféré 12 rue de Laval (aujourd'hui Victor Massé), Bruant achète le local et le baptise : le Mirliton. C'est le début de la réussite pour celui qui cherchait "fortune à Montmartre le soir"!
Rodolphe Salis, lors du déménagement, a oublié ce qu'il appelait "le trône Louis XIII", en réalité une vieille chaise paillée sur laquelle on avait le droit de s'asseoir pour caresser après avoir payé l'obole, le crâne authentique de Louis XIII enfant.
Rodolphe Salis veut récupérer son trône et fait irruption à plusieurs reprises au Mirliton. Bruant par jeu se refuse à le lui restituer; il l'accroche au plafond hors de portée et en fait une chanson que réclament les fêtards en fin de soirée. Il monte alors sur une table et moulinant de sa canne, chante l'immortel poème :
Ah! Mesdames qu'on est à l'aise Quand on est assis sur la chaise Louis XIII Elle est à Rodolphe cependant Pour s'asseoir d'ssus faut aller chez Bruant Au cabaret du Mirli Au cabaret du Mirli Du Mirlitontaine et tonton Du Mirliton
les huit années pendant lesquelles Bruant anime le Mirliton sont fécondes et elles assurent le renom du poète insolent. Pour s'opposer à Salis qui donne du monseigneur et gentes dames aux clients du Chat Noir, Bruant rudoie ceux du Mirliton et les traite de crapules.
On raconte qu'il inaugura cette posture, un soir où il n'y avait que deux ou trois pelés dans le cabaret. Furieux, il les insulta vertement. Il faut croire que les pelés avaient des tendances masochistes car ils apprécièrent ce traitement brutal et revinrent accompagnés de collègues et d'amis tout aussi émoustillés d'être insultés...
La mode était lancée...
Les nouveaux clients seraient accueillis par une phrase reprise en choeur :
"Hola-la! Ah' C'te gueule, c'te binette! Hola-la! Ah! c'te gueule qu'il a!"
Ceux qui partiraient avant la fin de la nuit par :
"Tous ceux qui s'en vont sont des cochons!"
Une partie du succès de Bruant est due à Lautrec qui dessine pour lui plusieurs affiches qui l'immortalisent dans sa tenue de scène du Mirliton, pantalon et veste de garde-chasse, cape noire, large chapeau de feutre, écharpe rouge.
Toulouse Lautrec est d'ailleurs un des illustrateurs, avec Steinlen ou Forain du journal créé par Bruant, le Mirliton, dans lequel sont publiées ses chansons! On n'est jamais mieux servi que par soi-même
Le cabaret d'Aristide Bruant, l'enseigne en demi cercle porte le nom du Mirliton.
Quand Bruant devenu riche grâce au succès du Mirliton et à la publication de ses chansons, achète en 1900 une ferme, un moulin et des terres pour vivre en gentleman chasseur, il cesse d'être le poète gouailleur, ami des délaissés et des miséreux.
Voici comment un journaliste, Adolphe Brisson, parle du chansonnier à qui il rend visite à Courtenay :
"Le poète des gueux habite un château où il mène le train d'un seigneur moyenâgeux, il chasse, il pêche, il a une meute de chiens de chasse fidèles et dressés"
Bruant continue d'écrire mais ses grands textes révoltés sont derrière lui. Il tente de coller à la légende qu'il a contribué à créer mais le feu sacré n'est plus là.
La ferme de Bruant (25 hectares de terrains) et au-dessus la grosse maison qu'il fit construire en 1912.
Quand Bruant évoque les années du Mirliton qui ont fait sa gloire il en parle en ces termes :
"Pendant 8 ans j'ai passé mes nuits dans les bocks et la fumée! J'ai hurlé mes chansons devant un tas d'idiots qui n'y comprenaient goutte et qui venaient par désoeuvrement et snobisme se faire insulter au Mirliton. Ils m'ont enrichi...Je les méprise."
Enseigne du Mirliton reconstituée pour le cinéma en 1950
Le Mirliton survit cependant sous le nom de Cabaret Bruant. Le chanteur-poète l'a laissé en gérance à son pianiste Marius Hervochon tout en gardant 50% des bénéfices!
Deux chanteurs, Raphael et André l'animent. Ce dernier reçoit du maître l'autorisation de chanter ses textes et de s'habiller comme lui, des bottes au chapeau.
Montmartre commence à se caricaturer lui-même!
Les animateurs jouent à être Bruant en recevant avec la même brutalité les clients et en chantant avec la même voix rauque les textes devenus des tubes, de Nini peau de chien à Rose blanche...
Le cabaret Bruant a survécu ainsi jusqu'en 1958.
Il est le prototype des cabarets montmartrois qui singèrent l'époque gouailleuse et inventive où les chansonniers avaient du talent à revendre et où la Butte était insolente et créative...
....................................................................................................................................................................
Liens : Cabarets de Montmartre:
Le cabaret de la Belle Gabrielle
Le cabaret du Chat Noir (2) rue Victor Massé.
Listes des liens des monuments et lieux typiques de Montmartre historique et moderne.
..............................................................................................................