Le 6 janvier n'est pas pour moi un jour comme les autres. C'est celui que j'ai choisi, au coeur de l'hiver pour
pousser le museau dans le monde. J'étais tranquille, bien au chaud, sans problème et j'ai compris soudain qu'on ne voulait plus de moi au paradis. Et pousse comme je te pousse, me voilà projeté
dans le bruit et le froid, accueilli dans une ville du nord par les branches mortes contre les vitres et le papier peint vieux rose de la chambre du premier étage de la maison
grand-paternelle.
Le 6 janvier c'est aussi l'Epiphanie, le jour où les rois mages arrivent sous l'étoile pour découvrir un
misérable bébé à peine réchauffé par la bonne haleine du boeuf et le bon regard de l'âne. Pour les orthodoxes, c'est Noël. Peut-être est-ce cette coïncidence qui incita ma grand mère à
m'appeler aussi longtemps que je fus petit et mignon (ce qui ne dura hélas que quelques courtes années) son "petit prince russe".
Aujourd'hui je ne compte plus les flammes que j'ai éteintes. Je pense à ceux que j'aime, à Nicole qui me met au
monde chaque matin, à mes parents qui voyagent dans les wagons blindés de la vieillesse, à mon frère à peine connu que les anges attirèrent à eux en tirant sur la corde qu'il avait
imprudemment nouée autour de son cou, à ma soeur aux poumons inondés dans la nuit de Noël et qui demandait avant de s'endormir qu'on l'embrasse et qu'on l'embrasse encore. As-tu fait
provision d'assez de baisers pour nous attendre au chaud, ma petite Marianne?
Je pense à vous, frères et soeurs si souvent lointains et pourtant si vivants, si précieux. Je pense à mes amis, à ceux qui
veillent toujours avec moi autour du feu qui éloigne les ombres, à ceux qui ne répondent plus et dont la silhouette s'estompe dans la
brume.
Je pense à tous les animaux que je n'ai pas sauvés, à ceux qui m'ont sauvé...
Depuis des années, mon père oubliait de m'appeler ou de m'écrire le 6 janvier. J'ai retrouvé sa dernière lettre,
envoyée plus d'un mois après la date fatidique, alors que pour une raison inconnue il avait pris conscience de son oubli. Je ne résiste pas au plaisir de me l'envoyer aujourd'hui.
J'embrasse tous ceux que j'aime et avec qui je partage la même angoisse et le même émerveillement de vivre.
EPIPHANIE
Les épis fanés
De l'Epiphanie
Je ne sais pas qui
Les a emmenés,
Ni quel bourbaki
A pu les glaner
sans faire leur tri.
J'en reste contrit
Mais n'ayant pas d'or
D'encens ou de myrrhe,
Toi que j'aime encore
Que toujours j'admire,
Toi mon cher aîné
Reçois ce morceau
De papier monnaie
Qui a cours à Sceaux
Comme à Douarnenez.
Un "acadabra"
Qu'alors tu diras
Le transformera
En fleurs pour Nicole,
Ou en chocolat,
Une chose drôle
Qui plaise à ton chat...
Ou te plaise à toi.
Mais pardonne-moi
Au nom du Bon Dieu
Cet oubli fâcheux
Qui met dans mes yeux
Des larmes un peu....
Ton vieux père qui perd la tête (et non pas qui pète la Terre).
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Liens: neige à Montmartre :
Montmartre. Neige. 20 janvier. Photos.
Montmartre sous la neige. 19 janvier.
Montmartre. Neige. cartes postales anciennes.
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