Château Rouge est aujourd'hui une station de métro parisienne des plus populaires et des plus exotiques. Elle donne accès au Marché Dejean et aux rues de la Goutte d'Or où l'Afrique Noire et
le Maghreb se côtoient dans une ambiance à la fois épicée et colorée. Mais qui s'interroge aujourd'hui sur l'origine de ce nom presque inquiétant? Y-avait-il à cet endroit un château? Se
serait-il illustré comme l'Auberge des Adrets par des meurtres qui auraient coloré à jamais son nom?
Eh bien, voici l'histoire de notre Château Rouge et de sa lente disparition puisqu'il n'en reste de nos jours que le nom!
Il y avait à la fin du XVIIIème siècle un parc dont la frontière longerait les rues des Poissonniers, Doudeauville, Christiani, Ramey et Clignancourt (ancienne chaussée de
Clignancourt). Ceux qui connaissent le quartier peuvent imaginer l'importance de ce parc qui s'étendait autour d'un château dont l'appareillage de pierres et de briques rouges lui valut très vite
d'être baptisé Château Rouge. Nous savons que la demeure appartenait à un sieur Christophe qui ne la vendit quà la fin de la période révolutionnaire. Un dénommé Feutrier en devint
propriétaire.
En 1814, le 30 mars, le conseil de défense est réuni dans le Château Rouge, sous la présidence du roi Joseph, frère de Napoléon. Il étudie la marche des armées coalisées et les plans de
résistance. Mais l'avancée des ennemis est fulgurante et un aide de camp de Marmont déboule pour annoncer que toute bataille serait perdue d'avance devant l'importance des troupes dont les
cosaques ne sont pas les moins cruels. Courage! Fuyons!
Et ils s'enfuirent... Le roi Joseph signe un ordre de capitulation et se carapate loin de Paris, à Blois où il va retrouver l'Impératrice régente. Pendant ce temps de braves montmartrois se
défendent héroïquement et n'hésitent pas à donner leur vie pour la défense de la patrie. Ainsi en est-il des meuniers de la butte, les quatre frères Debray qui périrent le même jour.
Citons pour mémoire qu'un des enfants Feutrier, Jean-François Hyacinthe, secrétaire de la grande aumônerie de France a donné son nom à une rue du quartier qui tournicote de la rue André Del Sarte
à la rue Paul Albert. Seul le patronyme est resté et c'est dommage car il eût été très chic de pouvoir dire : "J'ai ma demeure rue Jean -François Hyacinthe Feutrier" plutôt que "Ben j'crèche rue
Feutrier!"
Sautons les années et débarquons au milieu du XIXème. Une charmante dame Ozanne n'a pas les moyens d'entretenir sa demeure où elle recueille les animaux abandonnés ainsi que les oiseaux
et les chauves-souris qui apprécient les briques disjointes et les poutres couvertes de toiles d'araignées. Â la mort de dame Ozanne, les héritiers indifférents à la cause animale
mettent la propriété en vente. des promoteurs s'emparent d'une partie du parc, abattent les arbres comme font tous les promoteurs et tracent les rues Poulet, Myrrha, du Château Rouge... Seul le
pavillon central reste debout. C'est un certain Boboeuf qui en devient propriétaire (sa femme se nommait-elle Bellevache?) et c'est lui qui en 1845 ouvre le Bal du Château Rouge.
Pour lancer la mode du lieu, les publicitaires qui ne sont pas à un mensonge près, inventent la légende de la
Belle Gabrielle qui aurait abrité dans le Château ses amours avec le Vert Galant.
La belle Gabrielle et sa soeur (la pincée du téton permettait de savoir si l'on était enceinte...)
Gabrielle et le Vert-Galant (Château rouge pour Amant Vert!)
Et le Bal devint incontournable. Pas de visite à Paris sans une escapade au Château Rouge!
Les affaires sont prospères pour Boboeuf qui engraisse. En Juillet 1847, ses jardins accueillent le premier des banquets réformistes qui seront à l'origine de la Révolution de 1848.
Le bal fera tourner les crinolines jusqu'en 1870.
Pendant la Commune, les belles ne dansent plus et leurs pendants d'oreilles sont des cerises, couleur sang. Le général lecomte
est enfermé au Château avant d'être conduit sur le lieu de son exécution.
En 1881, le bâtiment à moitié ruiné est vendu. Les promoteurs toujours à l'affût se précipitent sur leur proie,
arrachent les dernières fleurs, font monter des immeubles de rapport rue de Clignancourt et rue Custine. Des façades uniformes dues aux architectes Richelieu frères et Corbon.
Immeubles du 42 au 54 rue de Clignancourt, à l'emplacement du Bal.
Immeubles du 7 au 13bis rue Custine, sur les anciens jardins.
Et voilà la triste histoire de notre Château rouge. Pourtant Les soirs de brume, il n'est pas rare
d'entendre les flonflons de l'orchestre et de voir tournoyer des couples heureux dans le reflet des vitres. Montmartre sera toujours Montmartre!
Liens : Rue Feutrier. Rosa Luxembourg.
Montmartre.La rue Andre Del Sarte (rue Saint-André) au 19ème siècle.