Une surprise nous attend à La Rochelle en entrant dans la cour de l'Hôtel Fleuriau qui abrite le Musée du Nouveau Monde.
Une haute statue, puissante et méditative, se dresse au milieu de la cour, géant trop grand pour les portes et les fenêtres de l'élégant édifice.
Il s'agit de Toussaint Louverture, figure héroïque de la lutte des Noirs pour l'abolition de l'esclavage et pour l'indépendance.
En installant cette statue, la ville fait face à son passé, aux heures sombres de son histoire, quand de nombreux armateurs rochelais s'enrichissaient avec la traite négrière.
La Rochelle est après Nantes (et à égalité avec Bordeaux) le 2ème port de France pour le commerce triangulaire et l'on estime à 150 000 le nombre d'hommes et de femmes déportés aux Antilles sur les navires de la ville, dans les conditions abominables que l'on sait.
La beauté de la ville visitée par des touristes du monde entier est due en partie à la richesse générée par cette activité criminelle.
Chapeau donc à la ville qui a voulu rendre hommage aux victimes en commandant au sculpteur sénégalais Ousmane Sow une statue de celui qui lutta contre les esclavagistes dans l'île de St Domingue.
On connaît l'histoire de ce combattant hors pair, affranchi en 1776, chef de la rébellion en 1791, admirateur de la Révolution Française, à laquelle il se rallie quand il apprend qu'elle a aboli l'esclavage.
Comme beaucoup il a cru qu'elle ouvrait une ère nouvelle de fraternité, de liberté et d'égalité. C'était sans compter sans Napoléon Bonaparte, devenu Consul à vie, qui envoie en 1802 un corps expéditionnaire pour arrêter le combattant qui a eu l'audace de proclamer l'autonomie dans le cadre d'une République Française qu'il croyait protectrice.
Toussaint Louverture est donc arrêté, emmené en France, au Fort de Joux dans le Jura où il meurt quelques mois après son incarcération.
La statue d'Ousmane Sow le représente au moment où il lit la Constitution qu'il vient de rédiger.
Nulle joie sur son visage sérieux et grave. Il sait qu'il a en face de lui les puissants, ceux dont la fortune est sacrée et se moquent des conditions dans lesquelles elle a été édifiée.
Comme un soldat de la République il croit encore à cette France qui renverse le vieux monde. C'est ce moment que nous voyons. L'homme est droit et puissant, il est à la fois immobile et en marche.
Il est beau et digne dans ce décor harmonieux construit sur le malheur des hommes.
Quand la statue fut inaugurée (20 mai 2015) il y eut une polémique. Une association dédiée à la mémoire de la traite et de l'esclavage estima que l'endroit où elle était placée n'était pas assez visible.
Elle désirait qu'elle prît place près du port d'où partirent les navires négriers, sur la promenade fréquentée par la foule des visiteurs.
On peut comprendre cette demande mais je trouve pour ma part que le géant qui rend petite la riche demeure d'anciens négriers, exprime où il se tient toute la force à la fois déterminée et tragique d'un homme libre devant les tyrannies.
Alors qu'il avait foi dans la Révolution Française, il commença une lettre à Napoléon par ces mots : "Du premier des Noirs au premier des Blancs".
S'il était bien alors le premier des Noirs, il n'est pas sûr que Napoléon eût été le premier des blancs!