Au musée du Nouveau Monde, une exposition d'Antoine Tzapoff nous propose une galerie de portraits d'hommes et de femmes, de résistants, indiens pour la plupart, victimes d'un génocide qui permit au Canada et aux Etats Unis de s'édifier.
Ce qui frappe dès la première approche de ces toiles assez classiques dans leur facture c'est la dignité des visages en même temps que leur profonde tristesse, la conscience d'une tragédie inéluctable.
"Cavalier des plaines"
Un guerrier Lakota se prépare au combat comme on le voit à son habillement : la chemise de guerre aux bandes perlées.
En 2007, des survivants de ce peuple sioux ont proclamé l'indépendance de leur territoire (essentiellement le Dakota) et rompu les traités que les blancs n'avaient jamais respectés.
"Ioway avec parure"
"L'avant-veille des Illusions perdues"
Malgré son regard décidé, sa coiffure Roach et son collier de griffes d'ours, cet indien qui a donné son nom à la rivière et à l'état de l'Iowa, ne pourra empêcher la disparition de son peuple dont ne subsiste aujourd'hui qu'un millier d'individus.
Le Roach est composé d'une frange extérieure en longs poils de porc épic et en poils plus courts de daim. Elle est maintenue à l'arrière par une tresse de cheveux qu'on appelle "la mèche de scalp" car c'est elle qui est coupée par l'ennemi en cas de victoire.
"Kwoxot"
Visage moins tragique pour cet indien Yuma (Colorado) qui est un homme de dialogue et de paix, un Kwoxot, diplomate chargé des relations avec les envahisseurs. S'il est homme de parole, il n'en est pas de même des Européens qui n'ont qu'une idée en tête : s'emparer des terres indiennes et signer des traités bidons!
"La lune du trépas"
Un chef Tlingit (sud-est de l'Alaska et Colombie Britannique) porte le cimier qui représente la lune entourée de fanons de baleine. Son peuple croit en la réincarnation et au retour des parents décédés. Cette croyance qui lui évite la peur de la mort n'a pas suffi à le réincarner en nombre puisqu'il n'y a plus aujourd'hui que quelques centaines de ses hommes dont la culture et la langue sont près de mourir tout à fait.
"Armoiries de la baleine tueuse"
C'est encore un Tlingit qui est paré de symboles totémiques. La "baleine tueuse" est l'autre nom donné à l'orque.
"Pharaon"
Tel est le nom donné à une des tribus des Apaches Mescaleros (Nouveau Mexique). On peut comprendre à la noblesse de ces hommes ce nom qui pourtant fut choisi par moquerie. Ils vivent de nos jours dans une réserve où ils sont mitraillés par les touristes, comme des animaux dans un zoo.
"Camp d'automne"
C'est une des premières toiles d'antoine Tzapoff qui replace l'indien Cree dans son environnement sévère dont il semble faire partie. Les Crees forment aujourd'hui le plus grand groupe des premiers peuples d'Amérique. Ils sont plus de 200 000. Ils étaient ouverts aux échanges et aux unions intertribales. Ils ont formé un peuple métissé, notamment avec les Français du Canada.
"Agnier"
C'est le nom donné par les colons français dès le XVIIIème siècle aux Indiens Iroquois Mohawk (Mohawk signifie "mangeurs d'hommes")
Leur langue a quasiment disparu. Une petite communauté de plus de 1000 indiens la parle encore dans le village de Kahnawake près de Montréal.
"La vallée des mélèzes"
Un guerrier Fox en alerte s'apprête à entrer dans la vallée dangereuse. Le peuple Fox a rencontré les Français au cours de guerres qui furent dévastatrices et à la suite desquelles ne survécurent que 500 des leurs.
"Le cauchemar de Cumberland"
Les colons craignaient particulièrement les Shawnees, guerriers farouches dont le nom français était "chaouanons" ou "chavanons".
"La Feuillée à l'aube dorée"
La feuillée est la toilette matinale des femmes. L'une d'elle, Chippewa est de face, l'autre Winnebago de dos. Les broches d'argent dont elles se parent sont l'œuvre des orfèvres de Montréal qui les fabriquaient pour les échanges commerciaux entre colons et autochtones.
Une fois encore, malgré la douceur du matin, le visage féminin est grave.
"Nez percé" ou 1877.
Les Nez Percés qui sont spoliés de 90% de leur réserve attribuée par décret se défendent en 1877 contre les soldats américains menés par le général Olivier O. Howard. A leur tête se trouve Chef Joseph qui après plusieurs succès est vaincu. La plupart des Nez Percés sont massacrés et une poignée d'entre eux parvient à se réfugier au Canada.
"Les Ages de la guerre ou la stratégie et le combat"
Le jeune Indien se détourne de son aîné qui a choisi la diplomatie et les tractations avec l'armée américaine. Il est décidé à se jeter sans attendre dans la bataille même s'il est conscient de la disproportion des forces en présence. L'aîné tente de sauver un peu de sa terre et de sa culture. Il sous évalue l'hypocrisie de ses adversaires.
"Le charme de guerre"
Le monde magique des Indiens comportait de nombreuses superstitions. Ainsi pensaient-ils être protégés par une simple bandelette qu'ils portaient en bandoulière.
Une cordelette pour lutter contre l'avidité des envahisseurs!
"Tatouages Osages"
Un dignitaire porte les marques des gardiens des "ballots sacrés" (où étaient conservés les objets rituels). Le fer de sa lance comme les bracelets qu'il porte prouvent qu'il entretenait des rapports amicaux en Louisiane et en Nouvelle France avec les Français qui les fabriquaient.
Le nom des Osages reste lié à un arbre, "l'oranger des Osages" dont ils se servaient pour leurs peintures et leurs arcs. Voilà qui me ramène à Montmartre, au square Louise Michel près duquel je vis et où s'élèvent plusieurs de ces arbres!
"Symboles sacrés"
Cette Osage est une officiante de rites religieux comme l'indiquent les symboles peints sur les rochers : cercle solaire et araignée.
Le cercle est symbole même de la vie. Moitié soleil et moitié lune il unit le jour et la nuit. Il a la forme de la vie, des nids, des tentes, du vent qui tourbillonne...
L'araignée a huit pattes comme les huit points cardinaux indiens. Elle appartient à la nuit mais a un rôle positif dans la mythologie indienne puisque c'est elle qui donne le feu aux hommes. Dans les attrape-rêves, c'est elle encore qui permet au jour et à la lumière de renaître après la nuit.
"Chamane Caribou"
"Chamane Toungouse"
Le chamane qui est en relation avec les esprits de l'univers portent les objets rituels dans les "ballots sacrés".
Il est ici revêtu de symboles de la création, les oiseaux de fer et les visages.
(Les Toungouses sont un peuple de Sibérie.)
"Chasseur ou le concept de la transformation"
Cet Inuk porte un masque de carcajou (glouton) dont il acquiert ainsi les qualités supposées : la ruse, l'agressivité...
"La chute de l'Amérique française"
La statue jetée à terre symbolise la défaite française et la fin de la Nouvelle France.
Un indien Ottawa (Outaouais pour les Français) reste debout, prêt à combattre encore. Sa tribu a choisi de lutter aux côtés des Français et elle leur reste fidèle. Nous sommes en 1760, date de la chute de la dernière place forte française : Montréal.
Le guerrier regarde au loin, espérant le retour des Français. Il a mal choisi. Entre les deux rapaces anglais et français, il valait mieux choisir le plus cynique et le plus rusé, celui dont l'Empire était si étendu que jamais le soleil ne s'y couchait!
"La Nouvelle France"
Le Canada français tel qu'il est idéalisé par le peintre!
L'indienne au visage grave se drape dans un tissu bleu. Elle porte entre les seins un poignard.
Une remarque s'impose au cours de cette exposition sur la façon qu'a le peintre de représenter les femmes. S'il leur donne comme aux hommes ce visage tendu et inquiet, il refuse de le marquer de rides. Ce respect qu'il a de la femme forcément jeune et belle confère à ses tableaux féminins quelque chose de plus stéréotypé.
Il y a dans les codes utilisés par l'artiste quelque chose qui me fait penser aux icônes : le sens du sacré, la dignité des visages, l'espoir d'un renouveau malgré l'apparente victoire de la violence et de la mort...
Quelques mots sur Antoine Tzapoff, l'auteur de ces portraits à la fois réalistes et spirituels.
Il est né en 1945 à Paris. Sa mère est française et son père russe (est-ce de ce dernier que lui vient cette proximité avec l'art sacré des icônes?)
Il a longtemps collaboré avec Vasarely avant de trouver sa voie qui allait de pair avec sa fascination pour les peuples premiers. En 1981 il rencontre Maria Felix, la sublime star mexicaine qui, séduite par son œuvre aidera à sa promotion dans tout le Mexique.
Tzapoff poursuit son euvre et cette exposition de La Rochelle rend justice à son grand talent et à sa sensibilité douloureuse et respectueuse pour ces peuples spoliés de leur terre et dont la culture et la spiritualités sont aujourd'hui menacées de complète disparition, ce qui parachèverait le génocide dont ils furent victimes.