Les touristes égarés de ce côté de la Butte, ne manquent pas d'être étonnés par ce grand immeuble et son fronton sculpté.
Ils ne peuvent imaginer l'importance et le luxe de ce qui fut le plus grand des grands magasins de Paris : les Galeries Dufayel, Palais de la Nouveauté.
Dufayel, simple commis à l'esprit entreprenant, reprit le magasin de son patron (créé en 1856) et grâce à ses initiatives audacieuses, en fit le temple de la consommation
populaire.
Heureux temps où l'on pensait le progrès capable de réaliser tous les rêves et où l'on prenait notre planète pour une bonne mère inépuisable dont on pouvait goûlument téter les
mamelles pour les siècles des siècles!
...Le voilà le Progrès souriant, entraînant au grand galop de son char d'opérette le commerce et l'industrie.
Il est l'oeuvre de Dalou, sculpteur utopiste qui a donné à la Place de la Nation la belle allégorie qu'on y peut toujours voir : la Patrie, fière et sûre
d'elle, les pieds posés sur le globe terrestre, lui même emporté sur un char tiré par des lions, s'élance, immobile, vers l'avenir radieux...
Le commerce est symbolisé sur les façades : la tête au casque ailé de Mercure, rue Christiani, le caducée, les cornes d'abondance et le même casque, rue de Sofia
(anciennement rue de la Nation)...
Du côté de la rue Christiani, s'élève le "petit dôme" et l'immeuble où vécut et mourut le chansonnier de la Butte, Aristide Bruant. Lui qui regrettait les constructions
bourgeoises qui supplantaient les simples maisons populaires, lui, l'ami des pauvres et des prostituées, choisit de vivre comme un bon bourgeois dans "une maison d'six étages, ascenseur et
chauffage...qui détruit les anciens maquis". Ironie du sort, il pouvait voir de ses fenêtres la grosse tête sculptée de Mercure, dieu du commerce (et des voleurs).
Le petit Dôme à l'angle des rues de Clignancourt et Christiani.
L'apogée des Galeries coïncide avec les années 19OO. Dufayel joue alors les mécènes. Il fait donner des concerts dans le théâtre dont nous pouvons regretter la disparition
ainsi que celle du palmarium à l'ambiance tropicale, du grand salon de lecture, des galeries d'exposition...
Escalier à double volée du théâtre... Une prouesse architecturale de l'Art Nouveau... réduite à l'état de souvenir imprimé sur
une carte postale.
La scène du théâtre...
Le palmarium où les visiteurs pouvaient se reposer dans la douce chaleur, bercés par le chant des oiseaux, plus agréable sans doute que les annonces publicitaires sur fond de
mélodies doucereuses qui nous poursuivent dans les allées de nos super marchés.
Petit détail charmant : la maison Dufayel offrait à chacune de ses visiteuses, au moment où elle quittait le magasin, un bouquet de fleurs de saison!
Les rayons les mieux garnis étaient ceux de l'ameublement, comme cette galerie des lits. La mode était alors aux lourds meubles marquetés...
La galerie des sièges.
Il y avait aussi une piste cycable qui permettait aux amateurs d'essayer leur monture avant de se décider.
Il y aura un peu plus tard un cinématographe...
Bref, les clients étaient alors gâtés, même si le sieur Dufayel ne perdait pas de vue qu'ils étaient avant tout des acheteurs.
"Moi messieurs, je ne travaille qu'avec les pauvres. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu'il y a d'argent chez ces bougres-là".
Pour mieux aspirer cet argent populaire, Dufayel inaugura les paiements par mensualités. Ses encaisseurs étaient chargés de se rendre chez les clients pour récupérer dans leur
profonde sacoche, le précieux argent...
Notons que parmi les employés aux écritures figura un certain Max Jacob!
Le poète qui vivait à Montmartre devait se sentir bien "albatros" sur le plancher de ce navire de commerce!
L'entrée rue de Sofia, hier et aujourd'hui, de Dufayel à la BNP.
Angle Barbès-Christiani, aujourd'hui et hier. Que sont devenus ces dômes à l'allure
orientale?
Angle Barbès-Sofia. On devine au loin le Sacré Coeur dont la construction a commencé bien après celle des Magasins
Dufayel.
Mais Dufayel s'est laissé griser par son succès. Il a ouvert plus de 400 succursales et après avoir été ruiné par des placements aventureux, a fini par se suicider dans son hôtel
particulier des Champs-Elysées.
Par chance la BNP a sauvé les bâtiments (ce n'est sans doute pas pour des raisons artistiques) et on peut aujourd'hui essayer d'imaginer tout ce petit monde parisien venu à pied ou à
cheval, passer la journée dans ce Palais de la Nouveauté, entre palmiers et musique, entre salle de lecture et galeries marchandes...
Un temps bien révolu...
Si Dufayel avait été banquier et avait vécu de nos jours, il aurait été renfloué par l'argent public et n'aurait pas fait faillite!
Autres temps, autres moeurs!
Le dôme principal (rue de Clignancourt,face à la rue André Del Sarte) qui portait un phare électrique dont les rayons
balayaient le ciel nocturne.
Détail de la décoration intérieure du grand dôme.
Une des écuries....
Les Galeries Dufayel avaient acquis, au début du vingtième siècle, une telle célébrité que lorsque des "provinciaux" visitaient la capitale, elles faisaient partie du circuit des monuments et
curiosités!
Ainsi, le 25 septembre 1904, 1200 Calaisiens, invités par les poissonniers des Halles, vinrent-ils s'y promener. Les femmes avaient mis leur fameux soleil, coiffe traditionnelle du Calaisis, et
les hommes en vareuses, arboraient sur leur poitrine leurs médailles de sauveteurs...
(Merci à Ombellule pour les documents qu'elle m'a fait parvenir et qui m'ont permis de compléter cet article. Je vous conseille
son blog si vous aimez Montmartre et le 18ème arrondissement : http://ombellule.blogspot.com/)
Lien : rue André Del Sarte Montmartre.
...